Smartphones durables : l'Europe impose des étiquettes énergétiques

Smartphones durables : l'Europe impose des étiquettes énergétiques

Pour lutter contre l'obsolescence programmée, la Commission européenne a décidé que tous les smartphones et tablettes devront afficher une étiquette énergétique. Un moyen de pousser les consommateurs à acheter des produits plus durables.

L'Europe continue son  bout de chemin pour réduire l'impact environnemental de l'électronique, notamment au niveau des matières premières utilisées pour la création des appareils et de la montagne de déchets qu'ils engendrent. C'est pourquoi la Commission européenne a présenté le vendredi 16 juin 2023 une mise à jour des directives visant à permettre aux citoyens européens de faire des économies tout en favorisant le recyclage et la réparation, en éliminant "les obstacles qui dissuadent encore trop de consommateurs de faire réparer" leurs appareils : manque de transparence, difficultés d'accès aux services de dépannage, prix trop élevés, pièces inchangeables…

De ce fait, les fabricants et les réparateurs seraient soumis à de nouvelles obligations. La mise à jour présentée il y a quelques jours concerne les règles d'affichage des principales caractéristiques des smartphones et des tablettes afin d'ajouter plusieurs indications relatives à l'économie circulaire. Le but est d'aider les consommateurs "à faire des choix d'achat plus éclairés et plus durables et encouragera une consommation durable", explique la Commission dans un communiqué. Le texte va maintenant passer entre les mains du Parlement européen et du Conseil pour une durée de deux mois. En l'absence d'objections, ces nouvelles règles seront adoptées et publiées dans la foulée dans le Journal officiel. Les constructeurs disposeront de vingt-et-un mois pour se soumettre aux exigences.

Étiquette pour smartphones : choisir des produits durables

Les nouvelles étiquettes pour les smartphones et les tablettes devront renseigner l'efficacité énergétique, la longévité de la batterie, l'imperméabilité à l'eau, l'étanchéité aux poussières, la résistance aux chutes et le degré de réparabilité. Certaines de ces informations sont pourtant déjà présentes dans les fiches des produits. C'est le cas de l'imperméabilité à l'eau et de l'étanchéité aux poussières via la classification IP (Indice de protection). Ainsi, les appareils IP57 résistent à la poussière et aux éclaboussures d'eau – ils supportent la pluie, mais il ne faut pas les faire tomber dans les toilettes. Ils sont étanches à partir d'un IP 68, qu'on retrouve souvent à partir des moyens de gamme. Le problème, c'est que de nombreuses personnes du grand public ne savent pas à quoi cet indice correspond. Il est donc nécessaire de le rendre plus compréhensible.

C'est la même chose pour l'indice de réparabilité, qui est obligatoire en France pour les smartphones, les téléviseurs, les tablettes, les ordinateurs portables et d'autres appareils électroniques. Il se présente sous la forme d'une note comprise entre un et dix accompagnée d'un code couleur allant du rouge au vert, et indique les produits les plus facilement réparables, et donc avec une meilleure durée de vie – mais les critères pour calculer l'indice souffrent toutefois de quelques lacunes, ce qui le rend moins fiable que prévu (voir notre article).

Afin que ce nouvel étiquetage soit rapidement compréhensible, Bruxelles indique que les "nouveaux produits utiliseront les étiquettes énergétiques existantes et bien connues de l'UE". Celles-ci utilisent une jauge de couleur de rouge (le plus mauvais) à vert (le meilleur), avec sept niveaux pour refléter différentes notes (de G à A). Les appareils devront respecter le règlement sur l'écoconception, qui fixe les urgences minimales pour la mise sur le marché de l'UE des téléphones mobiles et sans fil et des tablettes, notamment pour la résistance aux chutes ou aux rayures accidentelles, la protection contre la poussière et l'eau, l'utilisation de batteries suffisamment durables et la disponibilité des mises à niveau du système d'exploitation pour des périodes plus longues. De plus, les appareils doivent respecter les règles relatives au démontage et à la réparation, et les constructeurs doivent s'engager à fournir un accès non discriminatoire des réparateurs professionnels aux logiciels ou aux micrologiciels nécessaires au remplacement.

Droit à la réparation : entre cinq et dix ans selon les appareils

Une des mesures pour l'économie circulaire concerne le droit à la réparation, dont la durée s'étalerait de cinq à dix ans selon le type de produit. Parmi les appareils éligibles figureraient les smartphones, les tablettes, les téléviseurs, les lave-linges et les autres appareils électroménagers. Ainsi, les utilisateurs pourraient les faire réparer plus facilement et à moindre coût lorsqu'ils sont endommagés ou en panne, y compris après l'expiration de la période de garantie. Les marques seraient donc obligées de tenter de les réparer plutôt que de les faire remplacer par des produits neufs. Concernant les smartphones, les producteurs devront obligatoirement mettre les pièces de rechange essentielles à la disposition des réparateurs dans un délai de cinq à dix jours ouvrables, et jusqu'à sept ans après la fin des ventes du modèle de produit sur le marché de l'UE.

Cette proposition s'inscrit dans le projet global de l'Union européenne visant à parvenir à une économie circulaire d'ici 2050 – soit éviter d'extraire des ressources qui se raréfient pour fabriquer des produits qui deviennent des déchets électroniques, mais plutôt transformer ces derniers pour fabriquer une nouvelle génération de produits. Il s'agit du "dernier élément d'une série de mesures visant à faire du droit à la réparation une réalité", explique le commissaire européen Didier Reynders dans un communiqué. Le texte doit encore être modifié et adopté par le Parlement et le Conseil européen, ce n'est donc que le début du processus législatif pour la directive.

Concrètement, "les producteurs de biens soumis à des exigences de réparabilité […] seront tenus de réparer un produit pendant cinq à dix ans après l'achat (en fonction du type de produit), à moins que cela ne soit impossible (par exemple, si les produits sont endommagés d'une manière telle que la réparation est techniquement impossible)", explique Bruxelles dans son communiqué. Ce droit à la réparation s'additionnerait avec la garantie légale de conformité, qui est de deux ans, qui serait remaniée pour l'occasion. Avec cette directive, la garantie – toujours durant les deux ans suivant la date de l'achat – obligerait les vendeurs à réparer gratuitement les appareils dans un délai raisonnable – sauf si la réparation coûte plus cher qu'un remplacement. Après cette période, le droit à la réparation prendrait le relais, et les fabricants devront toujours fournir un service de réparation pendant une seconde période qui dure de trois à huit ans, mais il serait cette fois payant – sauf si là encore la réparation est impossible.

Bruxelles mise sur une concurrence entre les réparateurs pour éviter des coûts de maintenance abusifs et proposer des prix compétitifs. C'est pourquoi l'Europe prévoit de mettre en place une plateforme en ligne dans chaque État membre pour permettre aux consommateurs de trouver les réparateurs et les revendeurs de biens reconditionnés. Les entreprises seront tenues d'afficher en toute transparence leurs prix, afin que les consommateurs puissent les comparer. Le but serait, à terme, de parvenir à créer un "écosystème de la réparation."

Droit à la réparation : un enjeu écologique et économique

Les appareils électroniques ont un impact non négligeable sur l'environnement. Une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) a révélé que les écrans – téléviseurs, tablettes, smartphones, etc. – représentent 2,5 % de l'empreinte carbone en France. C'est pourquoi il est essentiel de rendre leur conception plus durable, afin d'éviter un renouvellement précoce et inutile d'équipements encore fonctionnels. C'est la fameuse obsolescence programmée qui engendre la multiplication des déchets électroniques – et donc de la pollution.

La Commission européenne s'attaquait déjà à ce problème en septembre 2022, reconnaissant que les smartphones et les tablettes "sont souvent remplacés prématurément par les utilisateurs" et ne sont "pas suffisamment utilisés ou recyclés." Une situation qui a un coût en termes de ressources utilisées et en déchets. La Commission européenne estime que, si l'on portait la durée de vie de ces appareils de deux-trois ans à cinq ans, cela reviendrait à retirer jusqu'à 5 millions de voitures en circulation – les transports étant une des causes majeures de la pollution – comme le rapporte le Financial Times. Selon la Commission, les produits remplacés chaque année alors qu'ils étaient réparables représentent dans l'UE quelque 35 millions de tonnes de déchets.

Et c'est sans compter les enjeux sur le pouvoir d'achat de la population européenne ! En effet, selon la Commission, choisir le remplacement plutôt que la réparation entraine une perte estimée à près de 12 milliards d'euros par an pour les particuliers. L'Union européenne espère au passage que rendre le droit à la réparabilité obligatoire entraine la création d'emplois dans le secteur de la réparation avec des métiers qui ne sont pas délocalisables.

Droit à la réparation : des éléments remplaçables plus facilement

En septembre 2022 déjà, la Commission européenne avait également manifesté sa volonté à travers un projet de loi que les fabricants et les vendeurs de smartphones mettent à disposition des pièces et des services de réparation afin de faire durer les smartphones plus longtemps, en remplaçant simplement la pièce défectueuse au lieu de changer l'appareil en entier – et ainsi réduire les déchets. C'est pourquoi ils devront mettre à disposition ces pièces – batterie, appareil photo, écran, bouton, microphone, haut-parleur, charnière – et services pendant au moins cinq ans après la date à laquelle le smartphone est retiré du marché.

Quant à la batterie, elles devront être amovibles – comme c'était le cas avant – et résister à au moins 800 cycles de charge et de décharge tout en conservant au moins 80 % de leur capacité initiale (voir notre article). Et il y a encore du travail pour y parvenir ! Sur son support, Apple explique qu'une batterie "normale" est conçue pour conserver jusqu'à 80 % de sa capacité d'origine au bout de 500 cycles de charge complets  – mais il propose de la changer moyennant finance. Du côté d'Android, cela dépend du constructeur. Pour Oppo/OnePlus, la batterie de certains de ses modèles, comme le Find X5 Pro, le Reno 8 ou le OnePlus 10T, conservent au moins 80 % de sa capacité après 1 600 cycles de charge – soit environ quatre ans d'utilisation. Cette volonté fait suite à la décision de l'Union européenne d'imposer la connectique USB-C sur tous les appareils en 2024 – une contrainte qui pourrait facilement s'appliquer au reste du monde, les constructeurs n'allant pas construire un modèle spécialement pour l'Europe, qui constitue un marché important.

Durabilité des mobiles : une mise à jour des logiciels portée à cinq ans

L'Europe souhaitait également mettre en place une durée minimale pour les mises à jour logicielles. En effet, au bout d'un moment, le constructeur n'effectue plus de mises à jour du système d'exploitation (OS) ni de correctifs de sécurité – certaines applications deviennent incompatibles et des failles de sécurité ne sont plus corrigées, ce qui expose à des risques. Une situation qui est vue comme une incitation à changer d'appareil bien avant sa fin de vie. La politique des mises à jour fournies dépend des constructeurs (voir notre fiche pratique des meilleures marques de smartphones à ce sujet) et des modèles, et, si la plupart ont fait des efforts ces dernières années, la Commission européenne ne les juge pas suffisants. Pour un appareil Android, elle voulait donc passer à trois ans de mises à jour majeures (Android 13, 14…) et à cinq ans de correctifs de sécurité. Toutes devront être déployées dans les deux à quatre mois suivant leur sortie.

Une politique qu'appliquent déjà en partie Apple et Samsung – qui propose quatre ans de mises à jour Android et cinq ans de sécurité pour ses smartphones Galaxy (Z, S et Tab), et quatre ans d'Android et de sécurité pour ses autres modèles. Google, avec le lancement des Pixel 6 et 6 Pro, a augmenté la durée des correctifs de sécurité à cinq ans. En revanche, pour les autres constructeurs, cela varie énormément d'un modèle à l'autre, surtout pour les smartphones d'entrée de gamme qui sont pénalisés – avec une moyenne d'environ deux mises à jour Android et trois de sécurité.

Droit à la réparation : un pas en avant jugé insuffisant

Ces lois continuent de faire l'objet de discussions – certains États, comme l'Allemagne, veulent imposer sept ans de mises à jour – et il faudra du temps avant que le vote puis son application aient lieu. Elles visent particulièrement les smartphones d'entrée et de milieu de gamme, qui ne bénéficient pas de la même attention que les modèles premium – en même temps, mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de débourser 1 800 euros. Néanmoins, certains sont sceptiques quant à l'application et aux conséquences de telles mesures. D'une part, cela risque d'augmenter le coût des appareils puisqu'il faudra réaliser des investissements – investissements qui vont donc affecter le prix final des appareils. Ensuite, ce domaine évolue très vite, et certaines fonctions introduites par les nouvelles mises à jour du système d'exploitation pourraient ne pas fonctionner sur d'anciens produits. Idem du côté de la capacité de calcul des anciens processeurs mobiles, ce qui pourrait créer des ralentissements ou des impossibilités de fonctionner.

De plus, la compétitivité des prix de réparation sur laquelle compte Bruxelles ne s'attaque pas au cœur du problème, à savoir le coût de la réparation. Ce n'est pas parce que le service de réparation sera exigé qu'il sera abordable pour autant. De plus, qui estimera le coût d'une réparation, et sur quels critères ? Les fabricants se prêteront-ils de bonne grâce au jeu de la réparabilité ? Pas de doute, les directives devront encore être affinées et précisées avant de pouvoir être effectives...

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