Pourquoi Apple est accusé d'obsolescence programmée en France ?
Apple est de nouveau sous le feu de plaintes, qui dénoncent une volonté manifeste de rendre ses produits difficiles à réparer. Une pratique qui a de lourdes conséquences sur l'environnement et pour les consommateurs...
Depuis plusieurs mois, si ce n'est depuis plusieurs années, Apple subit des pressions sur la question de la réparabilité de ses appareils, que ce soit par ses clients, par les défenseurs de l'environnement, par les instances européennes, et même par une partie de ses actionnaires. La firme est régulièrement accusée de ne rien faire – ou trop peu – pour faciliter la réparation de ses appareils et, surtout, de favoriser un écosystème très lucratif fonctionnant en circuit fermé – les réparateurs non-agréés en particulier sont mis sur le banc de touche. Résultat : tout cela conduit à une obsolescence programmée.
Après une plainte déposée par l'association française Halte à l'obsolescence programmée (HOP) en décembre 2022, qui accuse la Pomme "d'irréparabilité volontaire", une enquête a été ouverte, sur la demande du parquet de Paris, pour pratiques commerciales trompeuses et obsolescence programmée. Il s'agit d'un véritable problème car, outre l'impact financier sur les consommateurs, qui sont obligés de débourser une somme astronomique pour se racheter un nouvel appareil, cela engendre de nombreux déchets électroniques – rappelons qu'un appareil qui pollue moins est un appareil qui dure plus longtemps, la majorité de son empreinte carbone étant produite lors de sa fabrication.
Sérialisation : une méthode discutable pour maîtriser les réparations
Dans un communiqué, l'association explique vouloir mettre la lumière sur la pratique de "sérialisation", qui "consiste à associer les numéros de série des pièces détachées à celui d'un smartphone, via notamment des micro-puces, donnant la possibilité au fabricant de restreindre la réparation pour les réparateurs non-agréés ou de dégrader un smartphone réparé avec des pièces "génériques" à distance". Cette pratique touche bien évidemment les pièces les plus fréquemment soumises aux pannes (écrans, batterie, caméra...) et fait peser un risque de dysfonctionnements futurs sur les appareils remis en état et vendus sur les marchés de seconde main.
Suite à notre seconde plainte contre #Apple fin 2022 pour #obsolescence programmée et entraves à la #réparation, nous nous réjouissons dapprendre louverture dune #enquête par le Procureur de la République ! https://t.co/QyGdD80UNN
— HOP (@HalteOP) May 15, 2023
La plainte déposée est documentée par près de soixante pages de nombreux cas dans lesquels des dysfonctionnements ont été constatés après la réparation d'une pièce "même identique et d'origine" mais "non autorisée par les logiciels Apple". Les problèmes peuvent également être déclenchés lors d'une mise à jour. Pour HOP, ces bugs visent clairement à désavantager la réparation indépendante ou le reconditionnement au profit de la vente de smartphones neufs ou de la réparation captive, à des prix souvent dissuasifs pour le consommateur. Les investigations ont été confiées au service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Obsolescence programmée : un désastre écologique
L'association demande aux constructeurs de smartphones de garantir le droit à la réparabilité. Elle avait déjà obtenu en 2020 la condamnation d'Apple à une amende de 25 millions d'euros pour "pratique commerciale trompeuse par omission" concernant les batteries d'iPhone. En 2018, une de leurs plaintes dénonçait des faits de vieillissement prématuré et volontaire des vieux iPhone. Apple avait finalement reconnu qu'il bridait volontairement les performances de ces derniers après un certain temps, soit-disant dans le but de prolonger leur durée de vie.
Pour HOP, "sérialisation, indisponibilité des pièces détachées à des prix et des délais raisonnables (hors circuit agréé), défauts inexpliqués suite à des mises à jour… sont autant de pratiques contestables, portant à croire que le fabricant cherche surtout à vendre toujours plus d'équipements, au détriment des consommateurs et de l'environnement." De plus, elles portent atteinte au droit à la réparation, à la démocratisation du reconditionnement et au développement de l'économie circulaire, qui sont une véritable nécessité d'un point de vue écologique – selon l'Ademe, utiliser une année de plus son smartphone réduit de 25% son empreinte écologique et acheter un smartphone reconditionné plutôt que neuf peut réduire par 8 son impact environnemental et son coût jusqu'à 75%.
Politique de réparation d'Apple : quelles conséquences pour les consommateurs ?
Pour rappel, la réparation d'appareils Apple est réservée, si l'on excepte les rendez-vous pris au "genius bar" des Apple Store, aux 5 000 centres de services agréés Apple ainsi qu'aux 10 000 membres du programme de réparateurs indépendants homologués par la marque à travers le monde. Eux seuls sont autorisés à se fournir en pièces détachées officielles. Bien sûr; la Pomme a lancé en décembre 2022 le programme de réparation "Self Service Repair" qui, comme son nom le laisse entendre, permet de réparer soi-même son appareil Apple en achetant les pièces officielles et en louant les outils spécifiques nécessaires pour effectuer les opérations (voir notre article). Une initiative louable sur le papier, mais qui tient en réalité plutôt du greenwashing. Un journaliste de The Verge s'y est essayé et a eu la surprise de recevoir deux caisses d'outils de plus de 35 kg. De plus, les manipulations et le processus sont particulièrement compliqués, ce qui a amené le journaliste à conclure que ce service était une véritable mascarade.
En France, où un indice de réparabilité, gradué de 1 à 10, est obligatoire depuis le début de l'année 2021, les notes récoltées par l'entreprise américaine ne sont pas fameuses et vont, comme le relevait au printemps dernier le journal Le Monde, de 4,5 à 6,10 selon les références – et encore, la marque est sauvée par l'accessibilité de sa documentation, qui fait grimper les notes. Et c'est sans compter que les tarifs pour faire changer la batterie d'un iPhone, d'un iPad ou d'un MacBook se sont littéralement envolés le 1er mars 2023 (voir notre article), avec une hausse de 24 € pour tous les modèles d'iPhone, de 36 à 60 € pour les MacBook et de 40 € pour certains modèles d'iPad. Bref, cela n'encourage pas l'utilisateur à faire réparer son appareil – les prix pour les batteries vont de 100 à 289 € !
Ces manœuvres d'Apple sont un bon moyen pour forcer le consommateur à acheter des produits neufs, faisant de lui une véritable vache à lait que la firme continue de pomper jusqu'à la dernière goutte. En effet, selon la Commission européenne, choisir le remplacement plutôt que la réparation entraine une perte estimée à près de 12 milliards d'euros par an pour les particuliers. Reste qu'elle travaille sur un droit à la réparation, qui s'étalerait de cinq à dix ans selon les appareils électroniques – bien après l'expiration de la garantie, donc – afin de prioriser le dépannage au remplacement, et donc les rendre plus durables (voir notre article). Cela suffira-t-il ?