Pénurie de composants électroniques : la situation s'aggrave
PENURIE COMPOSANTS. La pénurie de semi-conducteurs qui frappe l'industrie depuis des mois s'accentue. Des acteurs majeurs comme Apple et Nintendo doivent revoir leur production et leurs ventes à la baisse.
[Mis à jour mercredi 3 novembre à 11 h 00] Va-t-on manquer de smartphones, de consoles de jeu et d'ordinateurs à Noël ? On pourrait bien le craindre tant la situation est tendue sur le marché des produits high-tech en raison de la pénurie de composants électroniques qui frappe de nombreux secteurs industriels depuis un an. Ainsi, selon le quotidien japonais Nikkei, Nintendo vient de baisser de 20 % ses prévisions de production de Switch, sa console ultra populaire, y compris dans sa dernière déclinaison munie d'un écran Oled. Au lieu des quelques 30 millions d'unités prévues entre mars 2021 et mars 2022, seuls 24 millions pourraient sortir des usines. Un sale coup en cette fin d'année, période toujours propice aux cadeaux ludiques. Mais le spécialiste de la console de jeu n'est pas le seul à souffrir en ce moment. Même Apple, qui avait pourtant assuré ses arrières en faisant des réserves de composants doit changer son fusil d'épaule à cause de la pénurie de semi-conducteurs. Toujours selon le Nikkei, la marque à la pomme se voit contrainte de réduire sa production d'iPad pour privilégier l'iPhone 13, son dernier smartphone vedette, qui commence à se faire rare, même dans sa version mini, la moins demandée… Seul Tesla semble sortir son épingle du jeu, pour le moment, grâce à des réserves encore solides et une politique d'anticipation, selon L'Expansion. mais pour combien de temps encore ?
Une reprise économique plus forte que prévu
Des constructeurs automobiles incapables de produire et de livrer dans les délais les voitures commandées, des fabricants d'électronique grand public (consoles de jeux, smartphones, TV...) qui ne peuvent plus trouver certains composants de base nécessaires à la fabrication de leurs appareils… Voici quelques uns des exemples malheureux liés à l'actuelle pénurie de composants électroniques qui frappe aujourd'hui de plein fouet l'économie mondiale. Car en économie, précisément, on parle de pénurie quand la demande pour une marchandise dépasse l'offre. Et cette pénurie s'éternise puisque, selon le P-DG d'Intel, Pat Gelsinger, l'équilibre entre l'offre et la demande ne sera pas de retour avant 2023. Une crise de la production et par voie de conséquence de la consommation qui invite à une réflexion à long terme. Que s'est-il passé ?
Déjà fortement marqués par la pandémie de la Covid-19 qui avait entraîné une vague importante de fermeture d'usines, les pays du sud-est asiatique – région du monde où se trouve, selon une étude réalisée en avril 2021 par le Boston Consulting Group près de 75% de la production mondiale de semi-conducteurs –, les acteurs de ce secteur n'ont pas su ou pas pu anticiper la très forte reprise actuelle de l'économie. Il faut dire que la pandémie s'était déjà accompagnée de son lot d'effets imprévisibles, soutenant la demande en semi-conducteurs. Augmentation du télétravail, et donc de la demande en ordinateurs, tablettes, smartphones, mais aussi en électronique de loisir (consoles de jeux…), lancement de la 5G, développement des besoins liés au cloud computing (les services en ligne à commencer par le stockage), à l'intelligence artificielle, et aux objets connectés, le secteur était déjà en surchauffe et il est aujourd'hui en train d'exploser. Si la situation devrait progressivement s'améliorer dans les mois à venir, "nous sommes actuellement au creux de la vague", a récemment indiqué Pat Gelsinger, à la tête d'Intel le géant américain des semi-conducteurs.
Une crise structurelle qui appelle des changements
Les raisons de la crise actuelle sont également plus profondes et vont par certains aspects bien au-delà de l'épisode pandémique que le monde traverse aujourd'hui. La production de semi-conducteurs est en effet particulièrement gourmande en métaux rares et nobles, des matières premières qui pourraient être épuisées d'ici quelques décennies, comme le rappelle Guillaume Pitron, auteur de La Guerre des métaux rares (Les Liens qui libèrent, 2018). C'est également un secteur très consommateur en eau douce. Ainsi, à Taïwan, où l'on retrouve 63 % de la production mondiale de semi-conducteurs, il faut à TSMC, l'un des plus grands spécialistes du secteur – qui fournit des puces en technologie 5 nm à Apple, par exemple –, 156 000 tonnes d'eau par jour pour nettoyer les multiples couches de métaux composant les puces.
Problème: que se passe-t-il quand, comme ce fut le cas au printemps 2021, l'île de Taïwan est touchée par la sécheresse ? Dans une optique de long terme, TSMC vient ainsi de décider de construire une usine de traitement des eaux et de réduire sa consommation de 30% à l'horizon 2030. D'un point de vue à la fois plus politique et géopolitique des régions du monde comme les États-Unis et l'Europe semblent aujourd'hui prendre pleine mesure de la situation. Les États-Unis viennent par exemple de convaincre TSMC de construire une usine ultra-moderne en Arizona. Quant à l'Europe, elle vient de dégainer une "European Chips Act". Cette loi européenne qui devrait s'accompagner de plusieurs dizaines de milliards d'euros d'investissement ambitionne ainsi faire produire en Europe 20% des semi-conducteurs à l'horizon 2030, contre moins de 10% aujourd'hui. L'américain Intel a bien compris le message en annonçant dans la foulée l'implantation prochaine d'une mega-usine en Europe. Mais le Vieux Continent semble également décidé à s'attaquer à une partie du problème, encore plus stratégique, puisqu'il s'agit des ressources en métaux et terres rares nécessaires à la production de semi-conducteurs. Comme le relève L'Usine nouvelle, une structure lancée par la Commision européenne en 2020, l'Alliance européenne pour les matières premières (Erma), a ainsi identifié 14 projets d'extraction ou de recyclage en Europe afin d'assurer 20% des besoins européens à moyen terme. Et plusieurs pays européens dont la France, deuxième domaine maritime mondial, lorgnent également sur les fonds marins qui pourraient les fournir en métaux rares.
Des prix qui stagnent ou qui augmentent
Pour le consommateur, les effets indésirables de cette crise de production et d'approvisionnement s'annoncent nombreux et n'ont pas fini de se faire sentir : retards de livraison, innovations technologiques reportées, voire régression dans certains cas, et, surtout, augmentation des prix… C'est particulièrement vrai dans le secteur de l'électronique grand public et de l'informatique ont le rapport équipement-prix stagne quand il ne baisse pas. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir les tarifs des ordinateurs portables qui grimpent, à caractéristiques similaires ou identiques : certains modèles de PC étaient moins chers au début 2021 que maintenant ! Et que dire du marché des cartes graphiques ou, en raison de la rareté des derniers modèles haut de gamme Nvidia, des références anciennes se vendent sur le marché 'occasion à des tarifs supérieurs au neuf ! Idem pour la PS5, la console de jeu de dernière génération de Sony, qui s'arrache dès qu'elle est disponible en boutique.
La pénurie actuelle de composants électroniques est au cœur de ce qui s'apparente à un jeu de dominos où l'explosion de la demande et la réduction concomitante de l'offre mettent en concurrence plusieurs secteurs de l'économie (et non des moindres) de l'informatique à l'industrie automobile. Le constructeur français Renault a ainsi dû récemment opter pour la fermeture temporaire de la moitié de ses usines en France, en raison d'un manque de composants. Par ailleurs, le groupe qui anticipe une baisse des ventes de 500 000 véhicules sur l'année 2021 a également eu recours, comme le note L'Express, a "un (petit) saut technologique en arrière. C'est à la main que les futurs propriétaires de Clio, de Captur et d'Arkana devront désormais rabattre leurs rétroviseurs (...) Renault a en effet décidé de ne plus proposer, jusqu'à nouvel ordre, leurs équivalents électriques, gourmands en semi-conducteurs". Il faut dire que nos voitures qu'elles soient thermiques, électriques, hybrides ou autonomes sont de plus en plus dépendantes de l'électronique (ordinateur de bord, ABS, contrôle Airbag, des distances de sécurité, du moteur, de la batterie, de la climatisation…).
On le voit, la situation n'est pas simple. Et elle n'est pas près de s'arranger, du fait qu'elle touche à la fois à des outils industriels et à des politiques économiques. Il faudra sans doute plusieurs mois avant un retour à la normale. En attendant, mieux vaut tenir que courir car il est probable que de nombreux produits très demandés soient régulièrement en rupture de stock. À défaut de bonnes affaires, il faudra sans doute se résoudre à acheter ce qui est disponible…