Procès antitrust : Google bientôt forcé de revendre Chrome ?

Procès antitrust : Google bientôt forcé de revendre Chrome ?

Google a été reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles et d'abus de sa position monopolistique aux États-Unis, suite à son procès antitrust. La justice risque de forcer l'entreprise à se séparer de Chrome...

C'est un véritable coup de tonnerre qui s'abat sur Google ! En 2020, le département de la Justice – l'instance qui gère les affaires antitrust aux côtés de la Federal Trade Commission (FTC) – déposait une plainte contre la société, l'accusant d'avoir dépensé des milliards de dollars pour maintenir le monopole de Google Search et empêcher la concurrence d'émerger. Le procès s'était tenu de septembre à novembre 2023,  la firme de Mountain View s'évertuant à prouver que sa stratégie était légitime, tandis que le ministère de la Justice américain affirmait qu'elle avait causé des dommages aux moteurs de recherche concurrents et aux consommateurs. 

Finalement, comme le rapportait CNBC, le tribunal américain a jugé le 5 août 2024 que le géant d'Internet a bien maintenu illégalement ses positions, en dépensant des milliards de dollars pour être le moteur de recherche par défaut sur plusieurs navigateurs Web, sur les ordinateurs comme sur les smartphones. C'est ce qu'on appelle une situation de monopole. Autre pratique dénoncée : la monopolisation des publicités apparaissant dans les résultats de recherches, vendues aux entreprises via Google Ads.

Google a donc bel et bien violé l'article 2 du Sherman Act, le texte légiférant sur l'anticoncurrence aux États-Unis. Et, pour ça, le département de la Justice aurait l'intention de demander purement et simplement la cession de Chrome, selon les informations recueillies par Bloomberg. Une décision qui serait historique ! Finalement, Donald Trump n'avait peut-être pas tout à fait tort en affirmant que Google était "proche de la fermeture"...

Procès antitrust de Google : des milliards de dollars pour garantir son monopole

Prouver que Google a bien abusé de sa position dominante n'a pas été une mince affaire. Mais le département de la Justice était finalement parvenu à démontrer que l'entreprise avait restreint la possibilité pour les concurrents de tenter leur chance équitablement. Les différents accords signés, qualifiés de "pratiques anticoncurrentielles", limitent les opportunités des autres moteurs de recherche de pénétrer le marché, consolidant ainsi le monopole de la firme de Mountain View. "Google est un monopole, et l'entreprise a agi en tant que telle pour maintenir son monopole", écrivait le juge dans sa décision.

Suite à cette condamnation, le géant d'Internet se verra infliger une amende, dont le montant sera déterminé lors d'une prochaine audience. La justice pourrait également exiger de Google une restructuration, voire la vente d'activités complètes – soit un démantèlement –, comme pour Microsoft il y a plus de vingt ans. Et c'est bien ce voir elle a l'air de se diriger.

Pour rappel, le procès antitrust contre la firme de Redmond a eu lieu à la fin des années 1990 et portait sur la domination du système d'exploitation Windows. En 2000, l'entreprise avait finalement été reconnue coupable de pratiques anticoncurrentielles et avait été condamnée à un démantèlement. La justice avait alors demandé à Microsoft de se scinder en deux sociétés distinctes, à savoir une qui produirait les systèmes d'exploitation (Windows) et une autre les logiciels (Word, Excel…). La société avait fait appel et échappé à cette sentence en 2001, après le rejet de la sanction de démantèlement par la cour d'appel, qui avait néanmoins maintenu l'accusation de monopole.

Procès antitrust de Google : la cession de Chrome sérieusement envisagé

Le gouvernement américain va demander à un juge d'obliger Google à vendre son navigateur Chrome, le navigateur Web le plus utilisé au monde, parce qu'il constitue un point d'accès majeur au moteur de recherche, ce qui réduit sérieusement les chances de potentiels concurrents. De plus, les autorités veulent également que l'entreprise soit contrainte de licencier les résultats et les données générées par Google Search, c'est-à-dire qu'elle permettre à d'autres entreprises ou services d'y accéder moyennant finances, plutôt que de les garder exclusives, afin qu'ils puissent améliorer leurs résultats de recherche et leur permettre de devenir des concurrents légitimes.

La Justice américaine désirerait également que les sites Web disposent de davantage d'options pour bloquer l'utilisation de leur contenu par l'IA de Google. Car si les éditeurs peuvent effectivement demander de ne pas donner leurs contenus aux bots IA qui parcourent Internet, de nombreuses intelligences artificielles passent en réalité outre. De plus, le Gouvernement veut également agir sur les résultats de recherche formulés par l'IA générative, les fameuses AI Overviews, qui fournissent directement une réponse aux questions des utilisateurs, qui n'ont alors plus à cliquer sur des liens. De nombreux sites se plaignent d'une baisse de trafic à cause de ce système, tandis que les concurrents de Google dans la recherche en ligne estiment que ce nouveau format ne leur laisse aucune chance d'émerger.

Procès antitrust de Google : le démantèlement de plusieurs services ?

D'après des sources proches du dossier, la justice américaine viserait également le système d'exploitation mobile Android, qui devrait être dissocié du moteur de recherche Google Search et du Play Store. En effet, ces deux services sont fournis ensemble aux constructeurs qui veulent intégrer la version d'Android la plus complète. L'entreprise aurait aussi interdiction de signer des accords d'exclusivité pour être le moteur de recherche par défaut dans les systèmes d'exploitation. Enfin, en plus de cette scission, la firme de Mountain View pourrait être contrainte de vendre Google Ads, sa plateforme de vente de publicités. Des mesures moins contraignantes sont également envisagées.

De son côté, Google avait annoncé dès le 7 août faire appel de sa condamnation. Le groupe affirme que les recherches effectuées sur Amazon, Facebook ou encore Expedia relèvent de la concurrence à son moteur de recherche et que ses accords de distribution sont bénéfiques pour les consommateurs et conformes aux lois antitrust. Pour eux, les internautes n'utilisent pas Google parce qu'ils le doivent, mais parce qu'ils le souhaitent. L'entreprise pointe également la facilité du processus pour changer de moteur de recherche par défaut.

"[Le ministère de la Justice] continue de promouvoir un programme radical qui va bien au-delà des questions juridiques soulevées dans cette affaire", déplore Lee-Anne Mulholland, vice-présidente des affaires publiques de Google. "Le fait que le gouvernement pèse de cette manière dans la balance nuirait aux consommateurs, aux développeurs et au leadership technologique américain, précisément au moment où il est le plus nécessaire".

Le juge organisera une audience de deux semaines en avril prochain pour déterminer les changements que Google devra apporter. Sa décision finale devrait être connue en août 2025. Dans tous les cas, les conséquences pour l'entreprise pourraient ne pas être visibles avant plusieurs années.

Procès antitrust de Google : Mozilla et Firefox dans la tourmente

Le jugement du procès pourrait bien avoir des répercussions sur d'autres acteurs du numérique, et notamment sur les partenaires de Google, qui bénéficient d'importantes rentrées d'argent par ce biais. Selon le New York Times, le contrat entre Apple et Google atteint les 20 milliards de dollars. Si Google va effectivement devoir cesser ses versements, Apple devra alors composer sans cette manne financière. On ne s'inquiète pas trop pour la firme de Cupertino, qui devrait encaisser cette perte sans trop de problèmes. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. 

En effet, la fondation Mozilla, qui supervise le développement du navigateur Web Firefox, pourrait bien accuser le coup. Elle possède un accord avec Google depuis 2017 afin de faire de son moteur de recherche la porte d'accès par défaut au Web sur le navigateur. Et pour cela, le géant du numérique verse des centaines de millions de dollars à Mozilla, au point de représenter sa principale source de revenus. Selon les chiffres donnés par la fondation dans son rapport annuel, sur les 593 millions de dollars dégagés en 2022, 510 millions proviennent de "l'intégration des moteurs de recherche de ses clients par défaut ou en option dans le navigateur web Firefox", et plus particulièrement de Google.

Aussi, si Firefox devait se séparer définitivement de Google, ce trou financier pourrait bien causer sa chute définitive, alors que le navigateur Web a déjà bien du mal à survivre face à Chrome et Edge, qui possèdent à eux deux près de 90 % de part de marché. Selon Statcounter, Firefox se contente de  seulement 2,74 %. Sollicitée par Fortune, Mozilla simplement déclaré que la fondation "a toujours défendu la concurrence et le choix en ligne, en particulier dans la recherche. Nous examinons attentivement la décision du tribunal, en tenant compte de son impact potentiel sur Mozilla et de la manière dont nous pouvons positivement influencer les prochaines étapes".

Procès de Google : quelle efficacité des lois antitrust des États-Unis ? 

Une question se pose toutefois : pourquoi se saisir de cette affaire seulement maintenant ? Cela fait pourtant plusieurs décennies que les pratiques de Google et son monopole perdurent. Les lois antitrust des États-Unis sont-elles vraiment efficaces ? Le problème semble venir du rôle de la FTC. En effet, depuis les années 80, les juges se sont cantonnés à se demander si le comportement de l'entreprise accusée de pratiques anticoncurrentielles conduisait ou non à une augmentation des prix pour les consommateurs. C'est seulement si les prix augmentent effectivement qu'ils sanctionnent alors. Or, dans le cas de Google – mais aussi de nombreux autres géants du numérique –, les produits et services sont gratuits. De ce fait, il n'y a pas de notion de prix à proprement parler. C'est pour cela qu'aucun géant du numérique n'a jamais été condamné, pour pratiques anticoncurrentielles, à l'exception de Microsoft.

Et même dans ce cas-là, nous l'avons vu, l'option de démantèlement a peu de chances d'aboutir, et on peut également douter que cela soit le cas ici. En effet, Google est un acteur numérique américain bien trop important à l'échelle mondiale. Il est peu probable qu'en plein bras de fer face à la Chine, les États-Unis choisissent de démanteler le fer de lance de leurs entreprises. Les considérations géopolitiques risquent de primer sur les questions de concurrence… On peut plutôt que le juge réclame des dommages et intérêts et interdise de nouveaux accords, comme cela avait été le cas pour Microsoft. Mais, qui sait, on n'est jamais à l’abri d'une surprise ! Surtout avec l'élection de Donald Trump, ce dernier ayant une sérieuse dent contre la firme de Mountain View, qu'il accuse souvent de manipulation algorithmique.

Grâce au DMA, Chrome n'impose plus Google Search comme moteur de recherche par défaut. © CCM

De son côté, l'Union européenne a adopté une autre stratégie. Elle a préféré mettre en place une série de règlements, comme le RGPD, le DMA et le DSA, dans le but de réguler, en amont, les géants du numérique. Il s'agit de faire en sorte que ces sociétés adoptent, de manière préventive, une bonne conduite, avant que le mal ne soit fait. Les conséquences sont d'ores et déjà visibles, y compris du côté de Google, puisque les smartphones et les ordinateurs doivent désormais demander aux utilisateurs de choisir leur navigateur Web et leur moteur de recherche par défaut. Mais l'impact de ces mesures reste limité, car le recours à Google Search est devenu un réflexe après des années de monopole. La justice arrive trop tard sur la question...

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