Rapport TikTok : le réseau social interdit en France en janvier 2024 ?

Rapport TikTok : le réseau social interdit en France en janvier 2024 ?

Le Sénat vient de rendre les conclusions de son enquête sur TikTok. Et le verdict est sans appel : l'application représente un danger. S'il n'apporte pas suffisamment de garanties avant la fin de l'année, le réseau social pourrait être banni de France.

TikTok est dans le viseur de nombreux gouvernements, qui s'inquiètent de la quantité astronomique de données récupérées par la plateforme, de ses liens avec Pékin, mais aussi de son addictivité et de son impact sur la santé des plus jeunes. En France, une commission d'enquête sénatoriale sur le réseau social a été lancée au mois de mars 2023, alors que plusieurs institutions venaient d'interdire à leurs fonctionnaires d'installer l'application sur leur téléphone (voir notre article), afin de s'assurer que le réseau social "n'est pas un instrument potentiel de désinformation ou de manipulation au profit de régimes non démocratiques, ni que son utilisation est sûre au regard de la nécessaire protection des données", pour reprendre les mots de Claude Malhuret sur le site du Sénat. Un enjeu de taille, étant donné qu'il compte 22 millions d'utilisateurs rien qu'en France !

Après avoir entendu de nombreux experts sur le sujet, ainsi que des représentants français de l'application (voir notre article), le Sénat a rendu ses conclusions dans un rapport intitulé "La tactique TikTok, opacité, addiction et ombres chinoises". Et autant dire que celles-ci, présentées ce 6 juillet par le sénateur Claude Malhuret, sont assez accablantes pour la plateforme. "Pardonnez cet oxymore, mais TikTok est l'incarnation de la transparence opaque", a-t-il déclaré d'entrée de jeu, soulignant la difficulté, voire l'impossibilité, d'obtenir des réponses aux nombreuses questions posées par les parlementaires. Une opacité qui, mêlée aux découvertes de la commission, l'a amené à déclarer que le gouvernement chinois menait, à travers TikTok, une véritable "guerre cognitive" et à lancer un ultimatum : "Pour la sécurité nationale autant que pour le bien-être des utilisateurs, nous donnons six mois à TikTok pour se mettre en conformité avec nos lois, faute de quoi nous demanderons sa suspension."

Rapport TikTok : des données pas si confidentielles

L'un des premiers – et pas des moindres – problèmes de TikTok réside dans la confidentialité des données des utilisateurs. Premièrement, les sénateurs se sont arrêtés sur le nombre hallucinant d'autorisations demandées par le réseau social pour fonctionner sur un smartphone. L'organisation Exodus Privacy a détecté dans l'application cinq pisteurs obligatoires et quarante autorisations facultatives, dont certaines considérées comme potentiellement dangereuses. Cela inclut l'accès à toutes les applications installées sur le téléphone, à la géolocalisation de l'appareil via GPS et réseau, à des informations détaillées sur le système d'exploitation de l'appareil, à l'accès à l'agenda, ainsi qu'à l'accès au presse-papier. Des demandes qui outrepassent largement celles d'un simple réseau social et qui ne sont absolument pas nécessaires pour faire fonctionner l'application. Plus préoccupant encore, seules seize de ces autorisations figureraient sur les conditions générales de la plateforme.

Mais que fait donc TikTok de toutes ces données ? La commission a découvert que, si elles sont stockées sur des serveurs basés aux États-Unis, en Malaisie et à Singapour, elles sont également partagées avec des prestataires de services ou des sociétés du groupe TikTok – non nommés – situés hors Union européenne, en particulier en Chine, et qui disposent d'un accès à distance. D'ailleurs, le 23 mars, le PDG de TikTok, Shou Zi Chew, avait été auditionné par le Congrès américain et avait fini par avouer que des données personnelles étaient bel et bien consultées par certains employés en Chine – chose qu'il avait déjà révélée en novembre 2022 (voir notre article). Une fonction en particulier, qui permet aux employés de "pousser" une vidéo via un bouton pour la rendre virale, fait craindre qu'elle puisse être utilisée pour mettre en avant des messages politiques. "Les données prélevées sont très nombreuses, ne respectent pas l'anonymisation, et circulent ensuite bien davantage que depuis les autres plateformes", explique la commission. Vers où circulent-elles ? Pour elle, pas de doute possible, il s'agit de Pékin.

© Sénat

Rapport TikTok : la stratégie chinoise du cheval de Troie

L'un des nerfs de la guerre a bien évidemment concerné les liens de TikTok avec le gouvernement chinois. En effet, même si ByteDance – son éditeur, qui possède également une branche chinoise – dément fermement que les données puissent être collectées par les autorités de Pékin et affirme que l'entreprise n'est pas concernée par la juridiction chinoise, ByteDance se situant aux îles Caïmans, la commission d'enquête n'a pas été convaincue. Le rapport explique que "ByteDance Ltd, installée aux îles Caïmans pour des raisons d'opacité, est en partie détenue par un fonds chinois." Il se trouve que son fondateur Zhang Yiming détient 20 % du capital. Or, ce dernier est contrôlé de près par le gouvernement chinois, ce qui remet en question son indépendance décisionnelle. De plus, il est difficile de savoir avec exactitude qui sont les actionnaires du groupe, puisque ByteDance est hébergé dans un paradis fiscal. Sans compter que TikTok a besoin des technologies, des brevets et des ingénieurs de la branche de Pékin, véritable cœur de la société ByteDance, qui est contrôlée via des "golden share" – des actions qui donnent un droit de veto sur certaines décisions de la firme – par les autorités. Tout cela amène la commission à conclure : "Contrairement à ce qu'ils racontent, TikTok et sa maison mère sont dépendants de Pékin sur tous les plans : technique, capitalistique, juridique et politique. C'est une stratégie avérée de guerre cognitive, la collecte massive des données, l'espionnage, le chantage et la désinformation étant leurs armes principales".

L'enquête a permis de mettre en lumière des faits d'espionnage et de géolocalisation à distance de journalistes enquêtant sur TikTok, des transferts de données d'utilisateurs de TikTok vers la Chine et vers des ingénieurs basés en Chine, ainsi que des mesures avérées de censure et de désinformation au bénéfice de la Chine, de ses priorités géopolitiques et des intérêts du Parti communiste chinois. D'ailleurs, selon Claude Malhuret, il serait insensé pour le gouvernement de Pékin de ne pas s'intéresser à TikTok. Avec un milliard d'utilisateurs dans le monde, dont vingt-deux millions en France, "les autorités chinoises ne peuvent pas ne pas s'y intéresser. Ce serait une faute professionnelle de la part de leurs services". Enfin, le sénateur s'étonne que TikTok ne soit toujours pas rentable et fonctionne à perte, au contraire de ses concurrents, ce qui tend à suggérer que l'objectif du réseau social n'est pas à chercher du côté de la rentabilité, mais de la politique...

© Sénat

Rapport TikTok : un réseau social dangereux pour les plus jeunes

Autre problème rencontré sur la plateforme : la désinformation. Il est ressorti de l'enquête que, en moyenne, il suffit de 40 minutes d'utilisation pour tomber sur des vidéos mensongères traitant de l'actualité. Une étude menée par Global Witness démontre que 90 % des contenus de désinformation sont approuvés par la plateforme, là où Facebook – qui n'est pourtant pas un modèle en la matière – n'atteint que 20 %. La plateforme est également accusée de ne pas respecter la propriété intellectuelle en matière de musique, et de piraterie intellectuelle par la SACEM.

La commission d'enquête ne pouvait pas ne pas s'intéresser à l'algorithme de recommandation de TikTok, "extrêmement addictif, qui retient des heures durant ses utilisateurs, essentiellement des enfants et des adolescents, sur leurs écrans". Selon le rapport, les mineurs ayant entre 4 et 18 ans– rappelons que l'âge minimum est censé être de  ans – ont passé en moyenne 1h47 par jour dessus en 2022. Les utilisateurs consultent en moyenne l'application quarante fois par jour, contre une moyenne de quinze fois par jour pour Twitter. "Les psychologues praticiens qui reçoivent les adolescents [...] sont effrayés par un certain nombre d'effets (de TikTok, NdlR) sur ces derniers", alerte Claude Malhuret. Un problème dont Pékin protège sa population puisqu'il a imposé à Douyin, la variante chinoise de TikTok – qui est, elle, bel et bien contrôlée par les autorités –, une limite d'utilisation quotidienne de quarante minutes pour les moins de 14 ans ainsi que des pauses obligatoires de cinq secondes entre deux vidéos pour les jeunes utilisateurs passant trop de temps sur la plateforme.

TikTok a bien rajouté il y a quelques semaines une limite de visionnage de soixante minutes par jour, mais celle-ci est optionnelle et n'est pas respectée par l'utilisateur (voir notre article). Il s'agit d'une notification qui peut être désactivée et n'empêche nullement le mineur de rester sur l'application. Difficile de mesurer combien d'utilisateurs ferment réellement le réseau social lorsqu'ils la reçoivent ! Et ce n'est pas avec l'arrivée prochaine de Tako, un chatbot nourri à l'IA destiné à conseiller les utilisateurs dans le choix de vidéos à regarder, que les choses risquent de s'améliorer...

Et ce n'est pas tout ! Le contrôle d'âge sur le réseau social est au mieux inefficace, au pire inexistant, puisque 45 % des 11-12 ans sont inscrits sur TikTok. Les témoignages de cliniciens corroborent la tendance de la plateforme à amplifier les difficultés psychologiques des personnes vulnérables, sans compter la prolifération de challenges dangereux mettant en péril la vie des plus jeunes et de filtres nocifs, à l'image du Bold Glamour qui peut engendrer de la dysmorphophobie (voir notre article). Aussi, le rapport recommande d'exiger de TikTok "la mise en place d'un système performant de vérification de l'âge, prévoyant un tiers vérificateur indépendant".

Rapport TikTok : un ultimatum de six mois sous peine de bannissement

Le fait que certains pays aient interdit l'application à leurs fonctionnaires, comme aux États-Unis, voire l'aient bannie totalement de leur territoire, comme l'Inde et l'Indonésie, incite le Sénat à vouloir en faire de même. C'est pourquoi il accorde six mois à la plateforme pour se mettre en conformité avec la législation française. Un délai qui peut paraitre court, mais certaines des demandes des sénateurs seraient réalisables du jour au lendemain, selon Claude Malhuret. Aussi, d'ici le 1er janvier 2024, TikTok devra notamment :

  • apporter des réponses aux questions posées sur le capital, le statut et les actionnaires de la société Bytedance ;
  • donner des détails sur le fonctionnement de son algorithme, ainsi que des informations sur la localisation et les sociétés qui fournissent ses ingénieurs en Chine ;
  • clarifier la nature des données des utilisateurs transférées en Chine ainsi que les raisons de leur transfert ;
  • clarifier les statuts de la société ;
  • acter une séparation effective avec la Chine ;
  • se conformer au DSA, qui entre en vigueur fin août, en particulier sur les questions de modération et de lutte contre la désinformation ;
  • mettre en place d'un véritable moyen de contrôle de l'âge lors de l'inscription des utilisateurs.

Si TikTok ne se met pas en conformité avant le délai imparti, "nous demanderons que des mesures d'urgence soient prises, pouvant aller jusqu'à une suspension" de l'application, conclut la commission. À bon entendeur !

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