SREN : une loi pour bloquer les sites pirates dans les navigateurs

SREN : une loi pour bloquer les sites pirates dans les navigateurs

Le Gouvernement a déposé le projet de loi SREN visant à imposer aux navigateurs Web de bloquer certains sites sur liste noire. Une demande qui soulève de vives inquiétudes quant aux dérives liberticides qu'elle pourrait engendrer.

Le Gouvernement est depuis longtemps en guerre contre le piratage des œuvres et des contenus protégés par des droits d'auteur ou des droits de diffusion. Il avait commencé par s'attaquer à l'IPTV, cette pratique parfaitement illégale qui concerne surtout la retransmission de rencontres sportives – en particulier du foot – avec des mesures radicales (voir notre article), avant d'obliger les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) français à bloquer plus de cinquante sites de streaming illégal – qui permettent de regarder sans payer des films et des séries diffusés par des plateformes légales –, à la suite d'une décision du tribunal judiciaire de Paris en février 2023 (voir notre article). Toutefois, ce blocage est plutôt facile à contourner par les habitués, soit en changeant de serveur de DNS, soit en passant par un VPN – deux techniques simples et parfaitement légales.

Pour contrer ces méthodes, le Gouvernement voudrait créer des listes de blocage de noms de domaines intégrées aux navigateurs Web. Ainsi, un nouveau projet de loi baptisé SREN, pour Sécuriser et Réguler l'Espace Numérique, a été déposé par le ministre de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire. "Avec ce projet de loi, la France se dote d'un éventail de mesures concrètes inédites et audacieuses visant à renforcer l'ordre public dans l'espace numérique", se réjouit-il dans le communiqué de presse du Conseil des ministres paru en mai dernier. L'un des articles imposerait aux navigateurs, comme Chrome, Mozilla Firefox ou Safari, de mettre en œuvre ces blocages. Le Sénat a d'ores et déjà adopté le texte en première lecture, en y ajoutant quelques amendements.

Projet de loi blocage des sites pirates : les navigateurs Web dans le viseur

Grâce à l'article 6 du projet de loi, le Gouvernement aurait le droit d'envoyer des listes de blocage aux navigateurs, qui devraient dans un premier temps "afficher un message avertissant l'utilisateur du risque de préjudice encouru en cas d'accès à cette adresse" pendant sept jours. Ce message devra être "clair, lisible, unique et compréhensible et [permettre] aux utilisateurs d'accéder aux sites Internet officiels du groupement d'intérêt public pour le dispositif national d'assistance aux victimes d'actes de cybermalveillance". Passé ce délai, les mesures s'étendraient à un blocage.

Cette décision pourrait s'appliquer "lorsque l'un de ses agents spécialement désignés et habilités à cette fin constate qu'un service de communication au public en ligne réalise manifestement des opérations constituant les infractions mentionnées aux articles 226‑4‑1, 226‑18 et 323‑1 du Code pénal et à l'article L. 163‑4 du Code monétaire et financier". Mais le projet de loi va plus loin, puisque l'alinéa 2 de l'article 6 prévoit que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) puisse enjoindre aux navigateurs Web "de prendre sans délai toute mesure utile destinée à empêcher l'accès à l'adresse de ce service pour une durée maximale de trois mois". Un blocage qui pourra bien évidemment être prolongé de six mois au maximum, puis de six autres mois si besoin.

Projet de loi blocage des sites pirates : une mesure liberticide ?

Cette mesure est loin de faire l'unanimité et suscite de vives inquiétudes quant à sa dimension liberticide. Pour Mozilla, "la France est sur le point de nous forcer à mettre au point une capacité technique dystopique", comme l'applique la fondation dans un long billet de blog. Elle explique que les motivations du gouvernement français sont légitimes, mais que l'idée de bloquer des adresses de sites Web au niveau des navigateurs "serait désastreuse pour l'Internet ouvert et disproportionnée par rapport aux objectifs de la proposition légale – lutter contre la fraude." Elle va même plus loin, affirmant que si cette mesure est mise en place et respectée, les moyens techniques mis en place pour cela pourraient par la suite être utilisés par d'autres gouvernements y compris ceux qui succéderont à celui d'Emmanuel Macronpour imposer une censure du Net. "S'il est adopté avec succès, le précédent que cela créerait rendrait beaucoup plus difficile pour les navigateurs de rejeter de telles demandes d'autres gouvernements", explique Mozilla. 

À la place de la mesure prévue par la proposition de loi, la fondation suggère l'amélioration des mécanismes contre les sites malveillants qui sont déjà présents sur les navigateurs Web. "Tirer parti des offres existantes de protection contre les logiciels malveillants et le phishing plutôt que de les remplacer par celles fournies par le Gouvernement, les listes de blocage au niveau des appareils, constitue un bien meilleur moyen d'atteindre les objectifs de la législation", assure-t-elle. Notons au passage que le blocage de certains sites via les navigateurs comme le voudrait le Gouvernement représente une violation de l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme rien que ça ! , qui stipule que "tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de [...] recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit", ce qui implique le droit de s'exprimer en ligne et de consulter des informations et des idées sans restriction ce qui pourrait être compromis en cas de dérive autoritaire. Et ça ne va pas aller en s'améliorant ! Le Sénat vient tout juste de proposer de censurer les réseaux sociaux en deux heures en cas de manifestations violentes, et d'infliger en cas de refus des comptes visés une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende.

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