Salons Discord : le nouveau terrain de chasse des pédophiles
Attirant de plus en plus de mineurs, Discord serait devenu un véritable terrain de chasse pour les pédophiles qui utilisent la plateforme pour traquer des victimes et échanger des contenus pédopornographiques. Un phénomène très inquiétant.
Si les parents connaissent les plateformes comme Facebook, Instagram et TikTok et les dangers qu'elles abritent, ils ne sont pas toujours au fait de celles qui sont plus confidentielles. Et ce manque de surveillance et d'encadrement ouvre la porte à de nombreux dangers auxquels sont exposés les mineurs – déjà que les réseaux sociaux "connus" entraînent de nombreuses dérives... C'est le cas des plateformes comme Omefle, Bigo ou Coco, qui mettent en contact des inconnus afin qu'ils échangent entre eux et abritent de nombreux délinquants sexuels et pédophiles (voir notre article). Mais ce ne sont pas les seules ! Comme le révèle une enquête de France Inter, des pédocriminels ont fait de Discord un de leurs terrains de chasse favoris.
Conçue à l'origine pour les joueurs en ligne, la plateforme de discussion a gagné en popularité pendant la pandémie. Très prisée par les adolescents, elle permet la communication entre des amis ou de la famille, que ce soit en textuel ou en vocal, mais aussi des échanges au sein de communautés qui partagent la même passion, et même le développement de projets. Il n'en fallait pas plus pour que des pédophiles investissent massivement la plateforme.
Discord : les pédocriminels à la chasse aux mineurs
Pour rappel, sur Discord, l'utilisateur se rend sur des serveurs, qui peuvent être des groupes privés – où seuls les amis sont acceptés – ou des communautés qui se rassemblent autour de thématiques communes – les jeux vidéo, la musique, les sciences et les technologies, les animés et les mangas, ou encore les films et les séries par exemple. On peut d'ailleurs utiliser un moteur de recherche pour trouver ceux qui nous conviennent, selon les critères de notre choix – comme un serveur exclusivement en français. La messagerie instantanée compte plus de 150 millions d'utilisateurs actifs chaque mois, dont huit millions en France – soit autant que LinkedIn et Pinterest.
Avec la Covid, les enfants ont dû délaisser leurs activités en passant de plus en plus de temps sur les écrans, et plus particulièrement sur les plateformes de discussion, ce qui en a fait des cibles de choix pour les cybercriminels. D'autant que le manque de relations sociales physiques avec leurs camarades a entraîné une prise de risque accrue lors des échanges en ligne. C'est ainsi que les autorités ont vite constaté une multiplication des contenus pédocriminels en ligne. Et Discord n'échappe pas à ce phénomène. "Il m'envoyait des photos et des vidéos pornographiques et il me disait 'Si tu es d'accord, moi je t'apprends à faire pareil que la dame' ", rapporte une témoin à France Inter. Elle n'avait que 13 ans lorsqu'elle a reçu ces messages via la plateforme, de la part d'un homme âgé de 30 ans. Car les pédophiles n'hésitent pas à contacter les potentielles victimes directement par message privé, dans l'espoir qu'elles répondent à leurs sollicitations et leur envoient des images et vidéos d'elles nues. Certains n'hésitent pas à se faire passer pour des mineurs afin d'entrer plus facilement en contact et d'instaurer un climat de confiance pour, à terme, obtenir ce qu'ils sont venus chercher.
Discord : une plateforme d'échange de contenus pédopornographiques
Mais ce n'est pas la seule utilité que présente Discord pour les prédateurs sexuels. Ces derniers se rassemblent au sein des fameuses "communautés" pour échanger du contenu à caractère pédopornographique. Ces serveurs sont plutôt faciles d'accès et France Inter a réussi à entrer dans une vingtaine d'entre eux. Certains proposent des catalogues avec divers salons, des sous-groupes consacrés spécifiquement à des thématiques telles que "seins", "ex", " cousines" ou "lesbiennes". À l'intérieur, des vidéos de jeunes filles mineures et françaises, qui posent nues, montrent leurs parties génitales et pratiquent des actes sexuels. D'autres serveurs payants promettent des "vidéos de meufs – 12 ans" ou des "sextapes, masturbations, blowjob, incestes". L'enquête mentionne par exemple un serveur "ADØS NXDES", où il fallait payer 24,99 euros pour pouvoir accéder à "des nouvelles nxdes d'ados tous les jours".
Le pire, c'est que ces serveurs sont à peine cachés. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, pas besoin de s'aventurer dans les zones les plus sombres du Dark Web pour y accéder. Il suffit de se créer un compte et de taper quelques mots clés dans un moteur de recherche pour trouver des sites qui référencent les serveurs Discord de ce genre. Les noms des communautés sont assez explicites, il suffit de retirer quelques lettres aux mots afin de déjouer les filtres des plateformes, ce qui donne des "ADØS NXDES" ou des "nvde ados" pour trouver des autoportraits dénudés d'adolescents. Certains serveurs sont accessibles à tous sans contrepartie, tandis que d'autres nécessitent de payer ou d'envoyer des photos de soi pour entrer dans le cercle.
Discord : des délais de suppression trop longs
Le fait que Discord abrite un tel réseau n'est pas très étonnant étant donné qu'il faut moins d'une minute pour créer son propre serveur et le rendre privé – comme pour les groupes Telegram. On peut alors y dire et y partager ce que l'on veut, car s'il n'y a pas de signalement, il n'y a pas de modération. La plateforme affirme s'efforcer d'appliquer "une politique de zéro tolérance". Dans son dernier rapport de transparence, publié en mars, elle indique aussi avoir "désactivé 37 102 comptes et supprimé 17 426 serveurs" qui enfreignaient les règles sur la protection des enfants entre octobre et décembre 2022.
Le problème, c'est qu'une fois détectés, les serveurs incriminés peuvent prendre entre plusieurs heures et plusieurs mois avant d'être fermés. Un délai beaucoup trop long qui laisse le temps aux images de circuler en toute tranquillité. Et on vous laisse imaginer leur quantité, sachant que certains groupes comptent plus de 700 membres. Sans compter qu'une fois le salon fermé, il suffit d'en créer un nouveau...
Plateformes de pédophiles : l'importance de la prévention
Mais comment les pédocriminels trouvent-ils tous leurs contenus pédopornographiques ? Il peut s'agir de photos et de vidéos prises discrètement dans les lieux publics, sans que les personnes ne soient au courant. On trouve ainsi des vidéos filmées dans des douches de piscine, des cabines d'essayage ou sous les jupes. Mais le plus souvent, ils sont produits par les victimes elles-mêmes, à une période de vie où les ados explorent leur sexualité et leur capital de séduction. Les images peuvent être initialement destinées à un cercle très restreint de personnes – un petit ami par exemple – avant d'avoir été diffusées par le destinataire sans le consentement de la personne – c'est le cas du revenge porn. Les victimes peuvent également avoir été contraintes de fournir les photos ou les vidéos à la suite de chantage – c'est de la sextorsion. Les pédophiles peuvent aussi les mettre en confiance – en se faisant passer pour quelqu'un de leur âge ou en jouant la séduction – afin de les amener à céder aux demandes – c'est ce qu'on appelle du grooming.
La méconnaissance des parents de la plateforme, qui ne savent pas comment elle fonctionne, empêche ces derniers de protéger convenablement leurs enfants. Ils ont un faux sentiment de sécurité, comme Discord est plus fermé que certains réseaux sociaux. C'est pourquoi il est extrêmement important de faire de la prévention, auprès des jeunes comme des parents. Pour cela, le Gouvernement a mis en place une nouvelle plateforme, jeprotegemonenfant.gouv.fr, afin d'aider les parents à accompagner leurs enfants dans l'usage des écrans et du numérique. Il est primordial d'instaurer un cadre préventif et de dialogue autour des potentiels dangers d'Internet, aussi bien du côté des comportements (cyberharcèlement, revenge porn, cyberattaques, addictions aux écrans, pédophilie...) que des contenus consommés par les plus jeunes (fake news, pornographie, violences, challenges dangereux à reproduire, contenus sensibles, etc.). Car, comme on dit, mieux vaut prévenir que guérir !