Fibre optique : le Sénat adopte le projet de loi pour améliorer sa qualité

Fibre optique : le Sénat adopte le projet de loi pour améliorer sa qualité

La proposition de loi visant à mettre de l'ordre dans le déploiement et l'entretien du réseau de fibre optique a été adoptée le 2 mai par le Sénat. Un projet ambitieux et louable, mais auquel s'opposent tous les opérateurs…

Les couacs à répétitions qui accompagnent le déploiement à marche forcée de la fibre optique sur l'ensemble du territoire – au point de prendre de plus en plus des allures de Far West – sont en bonne voie de devenir de l'histoire ancienne ! Entre les sabotages d'installations par des "techniciens", les rendez-vous de raccordement non honorés, les malfaçons techniques et les débranchements sauvages de lignes, ceux qu'on appelle "les naufragés de la fibre", c'est-à-dire à tous ces consommateurs lésés souvent obligés de payer pour un service dégradé (quand il existe), ont bien besoin d'un petit coup de pouce ! C'est pourquoi le Sénat a adopté à l'unanimité, le 2 mai, la proposition de loi du sénateur de l'Ain, Patrick Chaizé (Les Républicains). Cette initiative parlementaire vise à mettre de l'ordre sur un marché de la fibre optique dont les consommateurs sont aujourd'hui les premières victimes en renforçant les pouvoirs de contrôle, de sanction et d'astreinte de l'Arcep (l'autorité de régulation) sur les opérateurs commerciaux (Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free) intervenant sur le réseau, mais aussi mieux protéger les intérêts des consommateurs.

"Ce texte cristallise de fortes oppositions entre, d'une part, les collectivités territoriales et les usagers, qui sont parfois proches de l'exaspération et attendent des solutions concrètes, et d'autre part, les opérateurs commerciaux (…) qui voient d'un mauvais œil une intervention du législateur", souligne la rapporteure Patricia Demas (LR) à l'AFP. En tout cas, les opérateurs sont loin d'être ravis et ont appelé dans un communiqué à "la plus grande vigilance quant aux effets qu'une telle loi pourrait produire, à rebours des objectifs de migration des accès cuivre vers la fibre, poursuivis par les pouvoirs publics". La loi doit maintenant passer entre les mains des députés.

Fibre optique : des indemnités pour les usagers

L'article 5 de cette proposition de loi prévoit que le consommateur puisse résilier son contrat, sans payer de frais, en cas d'interruption de l'accès à Internet au-delà de vingt jours consécutifs – sauf si le fournisseur démontre que la coupure est due à une négligence de l'utilisateur – et qu'à partir de cinq jours d'interruption de service, il puisse demander la suspension du paiement de sa facture jusqu'au rétablissement dudit service. Enfin, une interruption de dix jours ouvrirait même droit à une indemnisation. Ainsi, au-delà de cinq jours consécutifs d'interruption, le paiement de l'abonnement serait suspendu, tandis qu'au-delà de 10 jours, le consommateur bénéficierait d'une indemnité qui ne pourrait être inférieure, par jour de retard, au cinquième du prix mensuel de l'abonnement. Enfin, au-delà de 20 jours, celui-ci pourrait être résilié sans frais par l'usager.

Ces dispositions font écho aux demandes récemment formulées par l'association UFC-Que Choisir en conclusion d'une étude concernant l'état d'avancée du déploiement du Très Haut Débit sur le territoire français. L'UFC-Que Choisir entend en effet exiger des pouvoirs publics – auxquels il est souvent reproché de regarder passer les trains plus souvent qu'à leur tour… – de créer un droit opposable à un accès à Internet de qualité, de permettre aux consommateurs de résilier sans frais leur abonnement en cas d'échec de raccordement ou d'interruption du service, d'interdire le prélèvement des frais d'abonnement et d'instaurer des indemnités automatiques en cas d'interruption prolongée ou récurrente du service.

© wklzzz

Fibre optique : plaintes et réclamations en forte hausse

La proposition de loi portée par le sénateur Patrick Chaizé a-t-elle une chance d'aboutir ? Rien n'est moins sûr, tant ce texte suscite le scepticisme de l'Arcep, l'opposition du Gouvernement et, surtout, l'ire des opérateurs commerciaux qui ont pris la main sur le déploiement de la fibre optique au détriment des opérateurs d'infrastructure qui (comme Covage, Axione ou Altitude Infrastructure) ont originellement construit le réseau dans le domaine public. En clair, Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free ne souhaitent pas vraiment que les pouvoirs publics viennent se mêler de leurs affaires.

Et on les comprend, car dans un cadre réglementaire qui leur permet aujourd'hui d'imposer leurs propres sous-traitants pour installer la fibre, la stratégie qui consiste parfois à faire appel à des sous-traitants de sous-traitants pour ce type de prestation n'est pas toujours couronnée de succès. C'est l'image désastreuse de ces armoires à fibre optique qui ressemblent parfois à un "plat de nouilles" à force de mauvaises manipulations dans le seul et unique but d'effectuer un raccordement, car les opérateurs en charge de ce type de mission "ne sont payés qu'à partir du moment où ils parviennent à raccorder la ligne", explique le Médiateur des communications électroniques Valérie Alvarez, citée par La Dépêche du Midi.

Il faut dire que les plaintes et les réclamations se multiplient. Ainsi, selon le dernier rapport d'activité publié par cette institution, 36 % des 4 929 avis rendus en 2022 concernaient la fibre, contre 30 % en 2021 et 15 % en 2019. Même son de cloche à l'Afutt, l'Association française des utilisateurs de télécommunications qui annonce avoir recueilli sept fois plus de plaintes pour la fibre que pour les réseaux de téléphone mobile en 2022. Car en cas de problème, personne ne semble en être responsable et les consommateurs, pris dans la tourmente, se retrouvent souvent au cœur d'une désagréable partie de ping-pong où les opérateurs commerciaux et les opérateurs d'infrastructure n'ont de cesse de se renvoyer la balle. "Ce sont des parties de chaises musicales ! Et comme les sous-traitants sont payés au nombre de raccordements en compte, la capacité ne permet pas de raccorder un nouvel abonné, ils en débranchent un qui est opérationnel pour en mettre un nouveau", explique Pierre-Yves Hébert, vice-président de l'Afutt cité par Capital. 

Plan France Très Haut Débit : des services au rabais

Pourtant, officiellement, tout va bien. Le plan France Très Haut Débit, lancé en 2013 par François Hollande, le président de la République de l'époque, tient son objectif de "généraliser, d'ici à 2025, la fibre optique à l'ensemble du territoire". Pourtant, selon l'association UFC-Que Choisir, la réalité est beaucoup plus nuancée. À tel point que près de 12 millions de consommateurs n'auraient toujours pas accès au véritable très haut débit.

En effet, selon l'association, "pour 17,2 % des foyers (soit 11,8 millions de personnes) l'accès à ce très haut débit n'est possible qu'en souscrivant des offres utilisant des technologies hertziennes (4G fixe, THD radio) ou satellitaires". Or, il s'agit de "technologies de second ordre par rapport aux offres utilisant les réseaux filaires traditionnels (fibre, VDSL, câble). Car en pratique beaucoup d'offres non filaires sont rationnées en termes de volume de données utilisables, voire ne proposent pas de services courants comme l'accès à la télévision. De plus, les débits peuvent parfois s'effondrer en fonction des conditions météorologiques ou du nombre d'utilisateurs utilisant simultanément Internet. Et il arrive que les usages permis par le très haut débit (visioconférences, jeux en ligne…) soient tout simplement impossibles".

L'UFC-Que Choisir n'hésite pas à parler d'un très haut débit "au rabais" pour des offres au final plus chères, que ce soit du fait de l'abonnement ou via l'achat ou la location de matériels spécifiques. Pire, ces disparités ne font qu'accroître la fracture numérique géographique. Ainsi, "en ne prenant en compte que les technologies filaires, l'inéligibilité à une offre en très haut débit frappe plus de 20 % des consommateurs dans 45 départements et touche même plus de la moitié des habitants dans trois départements : les Côtes-d'Armor (52,1 %), l'Ardèche (53,5 %) et Mayotte (60,9 %)" constate l'association de défense des intérêts des consommateurs."Plus globalement, ce sont les départements les plus ruraux qui sont les principales victimes de la fracture numérique et près d'un tiers (32,6 %) des 8,8 millions d'habitants des communes de moins de 1 000 habitants ne disposent pas d'une connexion à Internet en très haut débit." On le voit, le tableau est loin d'être idyllique, surtout dans la perspective de la fin du réseau cuivre toujours annoncé pour 2030. 

Guide box et connexion Internet