Fibre optique en France : l'Arcep dénonce les mauvais élèves
Face aux nombreux dysfonctionnements des réseaux en fibre optique en France, l'Arcep a publié le nom des opérateurs qui cumulent les pannes et les malfaçons. Un moyen de pousser ces mauvais élèves à régler enfin les problèmes.
Les problèmes à répétition qui accompagnent le déploiement à marche forcée de la fibre optique sur l'ensemble du territoire sont une véritable plaie pour les Français. Utilisateurs débranchés au profil d'un nouvel abonné, difficultés de raccordement, sabotages d'installations par des "techniciens", rendez-vous de raccordement non honorés, malfaçons techniques et débranchements sauvages de lignes… De nombreux consommateurs sont lésés et obligés de payer pour un service dégradé – quand il existe ! D'après l'UFC-Que Choisir, près de 12 millions de consommateurs n'auraient toujours pas accès au véritable très haut débit. Des disparités qui aggravent une fracture numérique déjà bien présente… Car en dépit des promesses et des plans d'action pour améliorer la qualité de service de leurs réseaux, certains opérateurs télécoms ne jouent pas vraiment le jeu. Pourtant, la qualité de l'exploitation des réseaux en fibre optique est un gage de la pérennité de l'infrastructure.
Si les opérateurs estiment que les réseaux impactés sont minoritaires, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) n'est pas de cet avis. Le régulateur a décidé de recourir au name and shame - "nommer pour mettre la honte", en équivalent français – pour pousser les opérateurs d'infrastructure – ceux qui construisent les réseaux de fibre optique – à réellement se retrousser les manches pour réduire le nombre d'incidents. C'est pourquoi elle a décidé de publier pour la première fois ce 6 juillet son "observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique", qui contient la liste des réseaux les plus accidentogènes. Un moyen de faire prendre conscience aux opérateurs d'infrastructures de l'état de leurs réseaux par rapport à ceux des autres.
Arcep : une liste des réseaux les plus accidentogènes
Pour relater l'état de santé des réseaux fibre déployés en France, l'Arcep a renforcé les contrôles lors des interventions des techniciens sur les réseaux en fibre optique. Grâce à un outil nommé "e-intervention", elle peut savoir qui intervient, à quel endroit et quand. Cela lui permet de connaître les réseaux les plus accidentogènes, c'est-à-dire présentant des taux d'incidents significativement plus élevés que la moyenne nationale. Le régulateur a lancé deux types d'indicateurs trimestriels à partir des données collectées auprès des opérateurs d'infrastructure et des opérateurs commerciaux : le taux d'échec au raccordement – quand l'opérateur ne parvient pas à connecter le client – et le nombre de pannes survenues sur ces réseaux sur le mois écoulé. Pour le raccordement, le Calvados, la Haute-Savoie et quelques réseaux en Moselle et dans le Bas-Rhin font font office de mauvais élèves, avec des taux d'échec supérieurs à 11 %, selon l'observatoire. Les taux les plus élevés ont été enregistrés sur les réseaux Free Infrastructure, Altitude – via Sequantic Telecom et Tutor – et Altice – via ZP XpFibre, une filiale de SFR.
Pour ce qui est des pannes, elles se situent surtout en Essonne, Seine-et-Marne, Haute-Savoie, Calvados, Seine-Maritime et dans les Bouches-du-Rhône. Comme le rapportait Le Monde, d'après les calculs de l'Arcep, le taux moyen de panne est de 0,12 % du parc de lignes en service sur l'ensemble des réseaux en fibre optique en France. Mais, chez certains opérateurs, le chiffre est 10 à 50 fois supérieur et ne baisse pas malgré les nombreux rappels à l'ordre du régulateur. Deux opérateurs d'infrastructures en particulier concentrent là encore les critiques : le groupe Altitude et XpFibre. Pourtant, tous deux avaient notifié à l'automne leurs plans d'action pour améliorer la qualité de leurs réseaux. Visiblement, ils n'ont pas porté leurs fruits. Ainsi, Sequantic Telecom – un opérateur appartenant à Altitude – affiche dans l'Essonne un taux de panne de 6,5 %, tandis que Tutor Europ'Essonne – une autre société du groupe Altitude – présente lui aussi un taux de près de 6 %. Du côté de XP Fibre, le réseau Débitex dans le Val-d'Oise et la Seine-Saint-Denis affiche un taux de panne de quasiment 3 %. Rien à voir avec les 0,12 % constatés dans certains départements ! Mais Free Infrastructure est également dans le collimateur du régulateur.
Arcep : forcer la main des opérateurs d'infrastructures
Même si les opérateurs insistent souvent sur le fait que les incidents sont minimes par rapport au nombre total d'abonnés à la fibre, un bon nombre de particuliers ne sont pas vraiment de cet avis. Lors d'une table ronde organisée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les malfaçons dans la fibre le 31 mai dernier, Jérôme Nury, député (LR) de l'Orne, avait déclaré qu'il ne se passe "pas une journée sans que nous soyons saisis par des maires, des citoyens excédés, énervés, déconnectés depuis des semaines ou des mois". Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep, estime qu'il y a un lien entre "une légère baisse du nombre de nouveaux abonnements" enregistrée en 2022 par rapport à 2021 (3,6 millions contre 4 millions) et "la mauvaise presse qui est faite régulièrement à la fibre, à cause des situations invraisemblables ou des débranchements sauvages vécus par certains de nos concitoyens, lors de raccordements". Un ralentissement d'autant plus inquiétant qu'en 2023, tous les foyers et les entreprises devront avoir basculé sur la fibre optique puisque Orange a prévu de fermer son réseau cuivre (ADSL) cette année-là. Sur les plus de 35,3 millions de Français éligibles au réseau, 19 millions disposaient d'un abonnement en fibre optique activé au premier trimestre 2023, ce qui représente près de 60 % des abonnements Internet – avec une progression de 10 points par an. Le rythme de croissance des abonnements fibre reste soutenu, mais il diminue toutefois légèrement, avec 3,5 millions de nouveaux abonnements en un an contre 4,0 millions un an auparavant.
Ne mettons toutefois pas tout sur le dos des opérateurs d'infrastructures, qui interviennent sur des réseaux ayant été initialement mal conçus. De plus, les sous-traitants des opérateurs commerciaux – Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free – interviennent tous les jours sur ces réseaux pour raccorder les nouveaux abonnés. Pour éviter que les différents acteurs de la chaîne ne se renvoient la balle indéfiniment, le Sénat a voté début mai le projet de loi visant à mettre de l'ordre dans le déploiement et l'entretien du réseau de fibre optique, notamment en renforçant les pouvoirs de contrôle, de sanction et d'astreinte de l'Arcep sur les opérateurs commerciaux intervenant sur le réseau (voir notre article). Il faut cependant que la loi soit adoptée, ce qui n'est pas gagné au vu de l'opposition du Gouvernement et du scepticisme de l'Arcep elle-même.