Coupure des réseaux sociaux : une idée qui inquiète

Coupure des réseaux sociaux : une idée qui inquiète

Suite aux récentes émeutes, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de bloquer l'accès à certains réseaux sociaux, accusé de relayer des incitations au désordre public et à la violence. Une idée qui suscite de vives inquiétudes.

Alors que la France est en proie à de violentes émeutes suite à la mort du jeune Nahel, le 27 juin 2023, le Gouvernement tourne son attention vers les réseaux sociaux, accusés d'alimenter la haine, d'inciter à la violence et de troubler l'ordre public. Sur Snapchat, Instagram ou encore Twitter, on retrouve des milliers de photos et de vidéos des émeutes, avec de nombreux appels au rassemblement et des diffusions en direct d'actes de dégradation ou de pillages. Depuis le début des troubles, le Gouvernement multiplie les remarques sur les plateformes et manifeste sa volonté de les réguler. Emmanuel Macron est même allé jusqu'à émettre l'idée, lors d'une réunion avec 220 maires le 4 juillet, de bloquer l'accès à certains réseaux sociaux tels que Snapchat et TikTok afin de limiter le partage d'informations et de prévenir les rassemblements, comme le rapporte BFMTV. Une déclaration qui n'a pas du tout été bien accueillie et qui suscite de vives inquiétudes.

Coupure des réseaux sociaux : un moyen de gérer les émeutes

Depuis le début des émeutes, les réseaux sociaux sont la cible du Gouvernement et d'Emmanuel Macron. Vendredi 30 juin, le président de la République et plusieurs ministres se sont réunis avec les représentants des grandes plateformes afin de les appeler à un "esprit de responsabilité", leur demandant de supprimer les contenus les plus sensibles. Le président a notamment cité Snapchat et TikTok où prennent place, selon lui, "des rassemblements violents" qui provoquent "une forme de mimétisme de la violence, ce qui conduit chez les plus jeunes à une forme de sortie du réel". Selon Le Figaro, il leur a demandé de coopérer pleinement avec les forces de l'ordre et a assuré que "des demandes seront aussi faites, partout où c'est utile et à chaque fois que c'est utile, pour obtenir l'identité de celles et ceux qui utilisent ces réseaux sociaux pour appeler au désordre ou pour exacerber la violence".

Les choses ne se sont pas arrêtées là. Le 4 juillet, le sénateur Patrick Chaize (LR) a déposé un amendement auprès du Sénat afin de pouvoir censurer les réseaux sociaux en deux heures en cas de manifestations violentes, et infliger en cas de refus des comptes visés une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende. " Face à la passivité des réseaux sociaux, une réponse plus ferme est nécessaire ", justifie le sénateur LR, qui pointe du doigt ce qu'il estime être des " effets amplificateurs".

Rassurons-nous, cette proposition de loi a peu de chances d'aboutir. Il y a quelques années, la loi Avia avait déjà tenté d'imposer une censure des réseaux sociaux sous vingt-quatre heures, mais elle avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Le président en a toutefois rajouté une couche en déclarant, lors de la réunion avec les maires :"Nous avons besoin d'avoir une réflexion sur l'usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes. […] Sur les interdictions que l'on doit mettre. […] Et quand les choses s'emballent, il faut peut-être se mettre en situation de les réguler ou de les couper." De quoi susciter une levée de boucliers !

Coupure des réseaux sociaux : une méthode digne des régimes autoritaires ?

La déclaration d'Emmanuel Macron est jugée problématique, dans le sens où elle peut renforcer les tensions, en donnant l'impression d'une volonté de censure ou de contrôle de l'information. Le rappel à l'ordre par le ministère de l'Intérieur du compte Twitter Cerfia, qui partage de nombreuses vidéos des affrontements, a d'ailleurs été assez mal perçu. De plus, il est possible de voir dans les propos du président une atteinte à la liberté d'expression, pourtant défendue par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, qui stipule que "tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de [...] recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit", ce qui implique le droit de s'exprimer en ligne et de consulter des informations et des idées sans restriction.

Plusieurs personnalités politiques, de droite comme de gauche, ont comparé cette idée aux pratiques des régimes autoritaires russe, chinois, iranien ou encore nord-coréen, qui verrouillent régulièrement l'accès à Internet à leurs populations en cas de crise politique. Sur Twitter, la journaliste Salomé Saqué a rappelé que "couper les réseaux sociaux pour maintenir l'ordre est une méthode employée par des régimes autoritaires comme l'Iran ou la Russie." De son côté, le sénateur écologiste Thomas Dossus a souligné les risques que soulevait une telle régulation des contenus sur les réseaux sociaux, comme le rapporte Public Sénat, en rappelant qu'"une partie de la vérité de ce qu'il s'est passé à Nanterre a été révélée par une vidéo sur les réseaux sociaux."

D'après un article de Libération, le Gouvernement aurait toutefois cherché à atténuer les déclarations d'Emmanuel Macron, niant toute volonté de censurer Internet. Il ne s'agirait que d'une impulsion du président, faite sans délibération préalable avec ses conseillers quant aux conséquences que cela impliquerait. Le pic des émeutes étant passé, on ne devrait pas avoir à en arriver là. Mais le fait qu'une telle mesure ait été envisagée, même brièvement, n'est pas anodin. Et la polémique invite a minima à s'interroger sur le rôle et l'importance des réseaux sociaux dans notre société.