La CNIL alerte sur l'utilisation des caméras "augmentées"

La CNIL alerte sur l'utilisation des caméras "augmentées"

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) met en garde contre l'utilisation des caméras augmentées de plus en plus utilisées pour surveiller l'espace public, pointant le risque pour la vie privée des citoyens.

Voilà déjà bien longtemps que la vidéosurveillance s'est invitée dans notre quotidien. Et si les systèmes de surveillance vidéo s'appuyaient aux départ sur des dispositifs analogiques (caméras, magnétoscopes…) et des opérateurs humains, ils exploitent de plus en plus des technologies numériques automatisées, plus performantes mais aussi plus inquiétantes. Ainsi, 19 juillet 2022, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (la fameuse CNIL) a publié un communiqué dans lequel elle alerte sur les risques liés au déploiement massif des caméras dites "augmentées" dans les espaces publics, un sujet qui suscite de nombreuses questions quant au respect de la vie privée des citoyens. 

Aussi appelées caméras "intelligentes", les caméras "augmentées" sont des caméras de surveillance associées à des logiciels et à de l'intelligence artificielle capables d'analyser en temps réel les images capturées. De plus en plus utilisées dans des cadres divers, elles peuvent détecter toutes sortes "d'anomalies" ou de comportements "suspects", mais également mener à des dérives qui mettent en péril les libertés individuelles. Et c'est ce qui amène la CNIL à tirer aujourd'hui le signal d'alarme.

Caméras augmentées : l'intelligence artificielle au service de la vidéosurveillance

Depuis 2017 déjà, la Commission nationale de l'informatique et des libertés appelle à la vigilance quant aux évolutions des outils de vidéosurveillance – ou de "vidéoprotection" –, qui ne respectent pas toujours le cadre légal. Cette fois, le "gendarme" des libertés liées au numérique dévoile sa position sur les conditions de déploiement des dispositifs de vidéo "augmentée" dans les lieux ouverts au public, en adoptant des points de vue éthiques, techniques et juridiques. Selon elle, les caméras intelligentes "représentent des risques nouveaux pour la vie privée". C'est pourquoi il est absolument nécessaire de créer "un cadre juridique très clair" quant à l'utilisation de ces outils, avec "des textes réglementaires ou législatifs qui autorisent l'usage de ces caméras dans l'espace public".

© CNIL

De nouveaux types de caméras équipées de logiciels d'intelligence artificielle se développent. La CNIL distingue deux types d'utilisation. La première est destinée à une utilisation purement statistique, ce qui ne pose pas de problème. "Lorsque les caméras "augmentées" sont utilisées pour produire des statistiques, constituées de données anonymes et n'ayant pas de vocation immédiatement opérationnelle, elles peuvent d'ores et déjà être déployées, sans encadrement spécifique", explique-t-elle dans un autre rapport. "Ce serait, par exemple, le cas d'un dispositif permettant de calculer l'affluence dans le métro pour afficher aux voyageurs les rames les moins remplies vers lesquelles se diriger." Cette technologie avait notamment été utilisée le 29 mai 2021 lors d'un concert-test d'Indochine, afin de démontrer l'absence de contamination par le Covid-19 des spectateurs. Des caméras intelligentes avaient été utilisées afin d'analyser le taux de personnes utilisant le masque – porté correctement, mal porté ou absent. Aucun souci donc.

Le problème se pose quant à une utilisation des caméras biométriques, qui permettent une analyse automatique des comportements des passants. C'est notamment le cas avec la reconnaissance faciale, qui fait correspondre un visage humain à une image numérique grâce à des scans et des caméras de vidéosurveillance – et qui est déjà adoptée par onze pays de l'Union européenne, notamment dans un cadre judiciaire. Ces caméras augmentées peuvent par exemple repérer des comportements suspects, des infractions, des bagages abandonnés ou même la présence anormalement longue d'une personne à un endroit précis. Elles se multiplient dans les municipalités, comme dans le centre-ville de Lunel, qui s'est équipé de trois caméras munies de haut-parleurs, qui apostrophent les personnes ne ramassant pas les déjections canines ou déposant des ordures sauvages. Ces dispositifs impliquent le traitement de données sensibles, qui est par principe interdit par le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi informatique et libertés, sauf pour quelques exceptions.

Caméras biométriques : une menace pour les droits des citoyens

La CNIL s'inquiète de l'utilisation des caméras biométriques dans un cadre d'identification des individus et des comportements. Le "déploiement de ces dispositifs dans les espaces publics où s'exercent de nombreuses libertés individuelles présente des risques pour les droits et les libertés des personnes", a indiqué la CNIL. Dans le pire des scénarios, "ces caméras intelligentes peuvent mener à une société de surveillance généralisée", et peuvent même "modifier les comportements des personnes circulant dans la rue ou se rendant dans des magasins". C'est pourquoi elle avait interdit l'utilisation, dans la ville de Cannes en juillet 2020, de cette technologie destinée à détecter le port du masque dans l'espace public par la RATP, en partenariat avec la ville. Elle avait jugé que le droit d'opposition n'était pas respecté puisque les passants ne pouvaient pas s'opposer à la captation de leur image. En effet, le droit d'opposition – contenu dans l'article 21 du RGPD – offre à chaque individu la possibilité d'exiger la suppression des données récoltées par n'importe quel organisme. Un droit qui est en plus renforcé par la Déclaration universelle des droits de l'homme sur le droit au respect de la vie privée. Or, la plupart du temps, les personnes ne sont pas conscientes de l'existence de ces dispositifs, ou du moins de leur capacité à analyser leur comportement – elles pensent par exemple qu'il ne s'agit que de simples caméras de surveillance. Le dispositif ne permet pas aux usagers d'exprimer leur consentement de quelque manière que ce soit.

C'est pour ces raisons que la CNIL insiste sur la nécessité de créer un cadre juridique très clair quant à l'utilisation de ces outils : "Dans de nombreux cas, il sera donc nécessaire que des textes, réglementaires ou législatifs, autorisent l'usage des caméras augmentées dans l'espace public. Cette analyse juridique rejoint la nécessité politique pour la puissance publique de tracer la ligne, au-delà du "techniquement faisable", entre ce qu'il est souhaitable de faire d'un point de vue éthique et social et ce qui ne l'est pas dans une société démocratique."

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