L'Europe veut assainir le monde des cryptomonnaies

L'Europe veut assainir le monde des cryptomonnaies

Le Parlement européen prépare de nouveaux textes législatifs pour réguler le marché des cryptomonnaies. Objectifs : lutter contre le blanchiment d'argent et à introduire plus de transparence dans un secteur qui en manque singulièrement.

Selon une récente étude Ipsos-KPMG, 12% des Français posséderont des cryptomonnaies à la fin de l'année 2022. Ce phénomène, en très grande partie spéculatif, inquiète car les utilisateurs de crypto-actifs ne sont pas couverts par les règles européennes de protection des consommateurs et ne sont très souvent pas du tout conscients des risques encourus en termes de perte de capital. Par ailleurs, comme le note le Parlement européen, "les transactions se faisant le plus souvent de façon anonyme, les crypto-monnaies sont largement utilisées pour des activités criminelles." Longtemps muette sur ce sujet, l'Union européenne (UE) planche aujourd'hui sur plusieurs textes pour "stimuler le potentiel des crypto-actifs tout en protégeant les citoyens contre les menaces qu'ils représentent." Aujourd'hui, l'attrait des crypto-actifs réside en partie dans le fait qu'ils ne nécessitent pas de registre central ni d'institution (comme dans le secteur bancaire classique) ce qui permet des transactions simples et sûres entre deux parties sans intermédiaire.

Cryptomonnaies : un milieu qui échappe à toute régulation

Voilà pour l'aspect positif. Mais dans le même temps, le marché des cryptomonnaies (on est dénombre actuellement plus de 13 000 selon les données du site Coingecko !) dont l'activité, très volatile, a dépassé en novembre 2021 le seuil des 3 000 milliards de dollars de capitalisation et a été divisée depuis de moitié, est marqué par une très grande instabilité financière, parfois rythmée par des manipulations de marché et par la criminalité financière. Des fondamentaux qui échappent le plus souvent aux petits épargnants aveuglés par la promesse d'un rapide retour sur investissement. Partant de ce constat, l'UE entreprend depuis plusieurs mois déjà de remettre de l'ordre et de mieux encadrer juridiquement ces activités. Une démarche qui suscite une levée de boucliers de la part de certains acteurs de ce secteur économique, où l'on retrouve par endroits, au-delà des traditionnelles incantations, une argumentation fantasque flirtant allègrement avec la plus parfaite mauvaise foi.

Selon les nouvelles exigences approuvées à ce stade par les parlementaires européens pour assurer la traçabilité des transferts de crypto-actifs et pour bloquer les transactions suspectes (c'est-à-dire en pratique pour lutter contre le blanchiment d'argent), "tous les transferts de crypto-actifs devront être accompagnés de renseignement concernant les sources et les bénéficiaires". Plus précisément, "avant de rendre les crypto-actifs disponibles pour les bénéficiaires, les prestataires devraient vérifier si la source dont ils émanent n'est pas sujette à des mesures restrictives ou qu'il n'y a pas de risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme."

Cryptomonnaies : des règles unifiées pour l'Europe

Pour le député européen Ernest Urtasu, co-rapporteur de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen "comme l'ont montré les scandales du passé sur le blanchiment de capitaux, allant des Panama Papers aux Pandora Papers, les criminels se multiplient là où l'anonymat est garanti en raison des règles de confidentialité. Avec cette proposition de législation, l'UE comblera cette lacune." Pour la députée européenne Aurore Lalucq qui plaide pour l'élargissement des directives européennes issues du monde de la finance aux crypto-actifs, "l'enjeu (des textes actuellement en cours d'élaboration et notamment du MiCA pour Market in Crypto-Assets, NDLR) est de faire rentrer les crypto-actifs dans des règles normales, qui s'appliquent aux règles de la banque et de la finance". "Nous voulons proposer une réglementation solide sur un secteur qui n'a à ce jour quasiment aucune obligation." (...) "Nous souhaitons uniformiser les règles au niveau européen afin de mieux protéger les consommateurs et les utilisateurs.

Parmi ces avancées, la classification des actifs et leur supervision, l'obligation faite aux prestataires de services d'obtenir un agrément, de soumettre leurs cadres supérieurs à "des tests de compétences et d'honorabilité", ajoute cette économiste très en pointe sur ce dossier. On aurait pu croire que ce soudain désir de transparence porté par l'Union européenne serait de nature à recueillir l'assentiment des professionnels du secteur, un courrier, dévoilé en exclusivité par le site spécialisé Big Whale, tend à prouver le contraire. Dans cette missive adressée aux 27 ministres Finances de l'UE, aux parlementaires ainsi qu'à 4 commissaires européens 46 dirigeants d'entreprises et d'associations cryptos s'insurgent contre le nouveau cadre législatif à venir, dénonçant une "hypersurveillance des transactions crypto", une "menace inédite de régulation", et refusent "la mise en cage du Bitcoin" en expliquant notamment qu'il faudrait en lieu et place "favoriser la croissance des technologies décentralisées en Europe en les exemptant des obligations d'enregistrement et de fonctionnement des organisations classiques."

Crypto-actifs : des projets de lois qui divisent

Pour sa part, dans un entretien récemment accordé au magazine Mieux Vivre Votre Argent, le député LREM de Paris, Pierre Person, auteur d'un rapport remarqué en 2019 sur les crypto-actifs, voit dans la mise en place de procédures à venir une démarche potentiellement "attentatoire aux libertés individuelles", soulignant que "cela montre la présomption de culpabilité qui repose sur cette technologie et ses utilisateurs dans les mentalités de certains députés européens", et rappelant qu'en matière de crypto-actifs (et donc de cryptomonnaies) "les faits de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme n'ont jamais été prouvé par ceux qui ne cessent de les scander." Il est juste regrettable que cette affirmation ne soit en rien étayée et qu'un tel expert ait apparemment omis de se plonger dans la lecture du tout dernier rapport d'Europol sur la question. Entre les partisans du laisser-faire et les tenants de la régulation, les positions semblent pour l'heure difficilement conciliables. À l'échelle européenne, la navette législative suit son cours : après avoir examiné et modifié la proposition de la Commission, les parlementaires européens ont décidé d'entamer des négociations sur la forme finale de cette "crypto-régulation" avec les pays de l'UE au sein du Conseil européen. 

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