Bientôt un bonus-malus écologique sur les smartphones en France ?
Pour lutter contre l'obsolescence, le Gouvernement envisage de mettre en place un système de bonus-malus écologique qui favoriserait les smartphones les plus réparables en pénalisant les autres. Et en faisant grimper leur prix !
Dans le cadre de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi AGEC), le Gouvernement s'efforce d'encourager une production et une consommation plus écoresponsables, notamment en luttant contre l'obsolescence précoce. En effet, de nombreux consommateurs sont contraints de se séparer de leurs appareils électroniques à contrecœur parce qu'ils ne fonctionnent plus, qu'ils sont impossibles à démonter pour réparer une pièce usée, ou encore que cela coûte plus cher de réparer que d'en racheter un neuf. Le problème, c'est que la production d'un appareil est la phase la plus polluante de son existence, à cause de l'extraction des matières premières. Aussi, plus un équipement va être utilisé longtemps, plus son impact environnemental sera faible. Et le Gouvernement semble avoir une nouvelle idée pour encourager les consommateurs à modifier leurs pratiques !
Comme l'explique le projet d'arrêté repéré par Le Monde, l'exécutif entend favoriser les smartphones les plus réparables et pénaliser ceux qui le sont moins. L'idée est que, dans les prochains mois, l'indice de réparabilité – et bientôt de durabilité, voir notre article – soit utilisé pour appliquer un bonus ou un malus à l'achat d'un smartphone – d'autres catégories de produits, comme les ordinateurs, ou les tablettes, sont également concernées. Une façon d'orienter les consommateurs, que devront payer un malus de 20 euros si l'indice de réparabilité du smartphone est inférieur à 6,9/10, mais qui bénéficieront d'un bonus de 40 euros en cas d'indice de réparabilité supérieur à 8,2/10. Une initiative louable, mais qui montre très vite ses limites…
Bonus-malus écologique : un dispositif compliqué à mettre en place
En théorie, les malus et les bonus écologiques devraient s'appliquer à compter du 1er juillet 2024. Mais ce délai pourrait être rallongé afin de laisser plus de temps aux fabricants et aux distributeurs de s'adapter. Pour le groupe United.b, maison mère de Boulanger et d’Électro Dépôt, ce délai est ainsi "purement et simplement intenable au regard des efforts d'adaptation nécessaires". Plusieurs groupes de pression soulignent également le flou qui entoure la façon de présenter les bonus-malus sur les étiquettes des appareils. Enfin, certains craignent que cela pénalise essentiellement les Français les moins aisés, car les modèles d'entrée de gamme seraient plus souvent frappés de malus.
Les acteurs du reconditionnement des produits électriques et électroniques sont également inquiets de la mise en place d'un tel processus. Ainsi, le SIRRMIET, qui les représente, demande que soit inscrit spécifiquement dans l'arrêté que les critères de modulation ne s'appliquent pas aux produits reconditionnés. De son côté, Back Market souligne le message contradictoire d'un tel dispositif. "Il nous semble très problématique, et même contre-productif, que les produits reconditionnés ne soient pas reconnus comme des produits vertueux à privilégier, alors même que des produits neufs pourront bénéficier jusqu'à 40 euros de bonus", explique l'entreprise sur la page du projet d'arrêté. Rappelons que faire l'acquisition d'un produit électronique reconditionné plutôt qu'un neuf permet de diminuer massivement son impact environnemental, et ce, même si l'appareil neuf a une excellente note de réparabilité.
Bonus-malus écologique : serait-il vraiment efficace ?
Mais même en laissant de côté le problème du reconditionnement, pas sûr que le dispositif ait un impact important. En effet, de nombreux smartphones verraient en réalité leur prix inchangé. Selon les critères présents dans le projet de décret, aucun malus ni bonus ne s'appliquerait aux smartphones dont l'indice de réparabilité est compris entre 6,9/10 et 8,2/10 (inclus). Or, si cette nouvelle mesure était appliquée au marché actuel, aucun des cinq smartphones les plus vendus en France durant l'année 2023 – à savoir l'iPhone 15 Pro, le Samsung Galaxy S23, l'iPhone 15, l'iPhone 14 et le Samsung Galaxy S23+ – ne serait concerné, car ils possèdent un indice de réparabilité compris entre 6,9 et 8,2. En revanche, certains modèles d'Apple seraient malgré tout touchés par le malus de 20 euros, comme l'iPhone 13 (6,4/10) et l'iPhone SE (6,4/10).
De plus, l'indice de réparabilité est faussé par certains biais, notamment au niveau de la documentation. La notation prend en compte la disponibilité de la documentation pour effectuer les réparations. Or, il est tout à fait possible d'avoir des notices très détaillées et faciles d'accès de nombreuses années après la sortie du produit – et donc obtenir de nombreux points pour ce critère –, mais de devoir acheter des pièces détachées et des outils très chers pour un appareil difficilement démontable. Par conséquent, la note finale n'est pas très représentative.
Auprès du Monde, le ministère de la Transition écologique précise que le barème pourrait par la suite se baser sur l'indice de durabilité, qui remplace l'indice de réparabilité depuis le 1er janvier 2024 et dont il reprend une large partie des critères, tout en en ajoutant de nouveaux, comme la robustesse et la fiabilité des produits. Mais là encore, l'indice de durabilité n'est pas exempt de défauts. S'il se veut plus complet que l'indice de réparabilité, certains critères essentiels sont mal représentés dans la note finale (voir notre article). Et c'est compter sans le décret d'application et les cinq arrêtés sectoriels qui ont été refusés par la Commission européenne (voir notre article). Cette dernière estime qu'ils ne sont pas compatibles avec l'indice de durabilité qu'elle entend adopter pour 2025. Elle a ainsi bloqué les arrêtés d'application jusqu'en février prochain, demandant à la France de retravailler ces textes. Voilà qui risque de compliquer davantage la chose !