Nouveaux tarifs Unity : une terrible menace sur le marché du jeu vidéo

Nouveaux tarifs Unity : une terrible menace sur le marché du jeu vidéo

Coup de tonnerre dans le monde du jeu vidéo ! L'éditeur du célèbre moteur Unity vient d'annoncer un changement de politique tarifaire qui pourrait changer le modèle économique de l'industrie et entraîner la fin de nombreux studios de création.

Ce mardi 12 septembre 2023, alors que les feux des projecteurs étaient braqués sur Apple et sa keynote de présentation de l'iPhone 15, une annonce plus feutrée, mais aux implications autrement plus profondes, a ébranlé l'industrie vidéoludique. L'entreprise Unity Technologies a annoncé dans un billet de blog des changements radicaux de son plan de tarification pour les jeux développés avec son célèbre moteur de jeu éponyme, Unity. Ce nouveau modèle économique pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur des pans entiers de la création vidéoludique. Tout du moins s'il était appliqué tel quel, ce dont il est permis de douter pour le moment, tant ses bases juridiques semblent fragiles, sa faisabilité technique incertaine et ses effets économiques délétères pour l'entreprise Unity Technologies elle-même.

Nouveaux tarifs Unity : un plan hors sol

Rassemblent des outils logiciels dédiés à la création de jeux vidéo, Unity est un moteur de jeu particulièrement populaire et largement utilisé dans un grand nombre de studios de développement, notamment chez les indépendants. Des jeux à succès tels qu'Hollow Knight, Genshin Impact, Ori and the Blind Forest ou Among Us ont été conçus et développés avec Unity. La puissance et la facilité d'accès du moteur ont grandement contribué à sa popularité au cours des années, permettant à de nombreux projets indépendants de voir le jour et de rencontrer leur public. Jusqu'à présent, il existait trois types de licences d'utilisation pour Unity, deux payantes par abonnement annuel (Unity Pro et Unity Enterprise) et une gratuite, Unity Personnal, comportant quelques limitations fonctionnelles. Et c'est par-dessus ce modèle que l'entreprise détenant le moteur va ajouter ce qu'elle appelle des "frais d'exécution" (fees runtime).

En clair, selon le nouveau plan de tarification tel qu'il est présenté à l'heure actuelle, chaque installation d'un jeu développé avec Unity donnera lieu au versement de frais à Unity Technologies. Vous avez bien lu : chaque installation, et non pas chaque achat. Cerise sur le gâteau, dans ses termes actuels, cette politique tarifaire serait rétroactive, s'appliquant ainsi aux jeux publiés avant son entrée en vigueur, prévue pour le 1er janvier 2024 ! C'est l'annonce de ce mode de calcul des frais qui a mis le feu aux poudres et déclenché une légitime colère chez les studios de développement utilisant Unity, car son application aurait des conséquences potentiellement désastreuses, voire tout simplement fatales, pour la majorité d'entre eux.

Les seuils et les nouveaux tarifs d'Unity © Unity Technologies

Nouveaux tarifs Unity : des conséquences dévastatrices

La mise en place d'une commission sur chaque vente de jeu aurait eu un certain sens économique – c'est d'ailleurs le mécanisme de rémunération appliqué par certains moteurs de jeu concurrents. En revanche, l'application de frais à chaque installation d'un jeu est totalement décorrélée de toute réalité financière : un même utilisateur installe souvent ses jeux sur différents supports (ordinateur de bureau, ;ordinateur portable, et maintenant Steam Deck ou ROG Ally) alors qu'il ne l'a payé qu'une seule fois ; les services d'abonnement comme le Xbox Game Pass offrent un accès illimité à des dizaines de jeux en contrepartie d'une rémunération forfaitaire pour les développeurs ; de nombreux studios mettent régulièrement leurs œuvres à disposition dans des bundles caritatifs, pour soutenir des causes humanitaires ou sociales ; enfin, des plateformes comme l'Epic Game Store proposent très régulièrement des jeux en téléchargement gratuit, sur lesquels se ruent les utilisateurs. Ces modes contemporains de distribution des œuvres vidéoludiques génèrent donc des millions d'installations pour un jeu donné, sans rapport avec les revenus réellement perçus par les développeurs, qui se retrouveraient donc contraints des verser régulièrement des sommes importantes à Unity Technologies, sur de l'agent qu'ils n'ont pas touché.

Face à ce enjeu financier vertigineux et au risque de faillite qui en découle, on peut redouter plusieurs conséquences dramatiques sur le monde du jeu vidéo. D'abord, les développeurs et les éditeurs concernés pourraient purement et simplement retirer de la distribution des jeux déjà publiés. Des projets en développement, certains depuis de longues années, pourraient voir leur date de sortie repoussée sine die, le temps pour les développeurs de porter leur travail sur un autre moteur de jeu, si tant est qu'ils en aient les moyens humains et financiers. Enfin, les éditeurs pourraient devenir réticents, ou carrément fermés, à soutenir tout projet de jeu qui serait développé avec Unity. Autant de perspectives qui auraient des impacts plus ou moins directs sur les joueurs, privés de jeux anciens ou futurs – sans parler d'éventuelles modifications sur modifications sur les conditions d'utilisation et les tarifs des jeux et des abonnements. 

Par ailleurs, la mise en œuvre technique de la nouvelle tarification suscite quelques interrogations. Comment Unity Technologies calcule-t-elle le nombre d'installations d'un jeu ? Comment fait-elle la différence entre l'installation d'un jeu acheté et celle d'un jeu piraté ? Ou bien d'un jeu acquis dans le cadre d'un bundle caritatif ? À ces questions, l'entreprise a apporté des réponses lacunaires, qui peuvent se résumer par : "nous utilisons des outils de télémétrie et des algorithmes" (opaques bien évidemment). Ce qui n'a fait que susciter davantage de questions et d'inquiétudes sur le niveau de collecte de données personnelles et de surveillances des utilisateurs, qui pourrait d'ailleurs se retrouver en infraction avec le Règlement général sur la protection des données européen (le fameux RGPD) .

Nouveaux tarifs Unity : une politique suicidaire

Depuis l'annonce, et face à l'avalanche de critiques (fondées) qui lui sont adressées par ses utilisateurs et ses clients, l'entreprise se débat tant bien que mal et tente d'éteindre l'incendie qu'elle a elle-même allumé. Via des communications sur X (ex-Twitter) et une FAQ sur son site Web, elle s'est voulu rassurante, affirmant par exemple que les jeux intégrés dans un bundle caritatif ne seraient par concernés par les nouveaux tarifs, ou que les frais d'installation des jeux distribués dans le cadre du Xbox Game Pass seraient payés par… Microsoft. On attend avec impatience la réaction de Phil Spencer à l'annonce de ce nouveau partenariat surprise et imposé. Toute ironie mise à part, on constate que l'entreprise rétropédale déjà sur de nombreux points de sa nouvelle politique tarifaire, et il n'est pas improbable qu'elle soit lourdement modifié, voir carrément abandonnée, avant sa mise en œuvre,

Cependant, malgré tous les changements, les compromis ou les renoncements auxquels pourraient consentir Unity Technologies sur sa nouvelle politique tarifaire, le mal semble fait et ses conséquences pourraient s'avérer irréversibles. La confiance des studios de développement dans le moteur Unity paraît durablement rompue. La création de jeux vidéo étant un processus lourd et complexe qui engage des ressources importantes sur le (très) long terme, aucun acteur économique n'a envie de s'appuyer sur des outils instables et imprévisibles pour mener à bien de tels projets.

L'attrait des développeurs pour le moteur Unity pourrait donc fortement s'éroder dans les prochaines années, et ce qui devait générer des revenus supplémentaires pour l'entreprise risque paradoxalement de pousser ses clients dans les bras de ses concurrents, qui ne manquent pas : le mastodonte Unreal Engine bien sûr, mais également le challenger montant Godot ou, pourquoi pas, le futur projet mystère de l'un des co-cofondateurs de GitHub Chris Wanstrath qui, au milieu de la tourmente, vient d'annoncer la publication d'un nouveau logiciel en lien avec la création de jeux vidéo pour début 2024.

Nouveaux tarifs Unity : vers un changement complet de modèle économique ?

Toutefois, en poussant la réflexion un peu plus loin et en faisant preuve d'un brin de cynisme, il se pourrait que Unity Technologies ait parfaitement anticipé ces effets délétères sur l'un des volets de son activité, et que son objectif réel se trouve ailleurs. Dans une vidéo d'analyse ciselée et bien documentée (comme à son habitude), le vidéaste français Gautoz développe l'idée suivante : Unity étant un moteur de jeu particulièrement utilisé dans les jeux free-to-play, qui génèrent énormément de revenus à travers la publicité et les micro-transactions, l'entreprise serait en train de proposer aux développeurs de ces titres une exonération totale des fameux frais à chaque installation, à la condition qu'ils migrent la gestion des revenus de leurs jeux vers un outil maison opportunément dédié à cela, Unity LevelPlay. Dans cette optique, Unity Technologies sacriefierait sciemment sa relation avec les studios de développement de jeux premium, pour favoriser un business model entièrement tourné vers les free-to-play et les jeux-services. Une perspective bien sombre pour la sphère du jeu vidéo indépendant, mais qui colle assez bien avec la vision du directeur actuel de Unity Technologies, John Riccitiello, qui se trouve être l'ancien PDG... d'Electronic Arts, éditeur mastodonde spécialiste des jeux produits à la chaîne et des méthodes de monétisation douteuses.