Taxe sur le streaming audio : quelles conséquences pour les abonnés ?
Le Gouvernement va imposer une taxe sur le streaming audio en 2024. Mais certaines plateformes comme Spotify et Deezer affirment ne pas avoir les moyens de la payer. Résultat : les prix des abonnements devraient une fois de plus augmenter.
Les amoureux de la musique vont devoir passer à la caisse ! Le Gouvernement a annoncé à l'AFP le 13 décembre 2023, la mise en place dès 2024 d'une taxe sur le chiffre d'affaires des plateformes d'écoute de musique en ligne. Un moyen de financer le Centre national de la musique (CNM), un établissement public créé en 2020 afin de soutenir les professionnels de la musique et des variétés. Les services de streaming muscla devront obligatoirement contribuer au secteur à l'aide d'un "très faible taux de prélèvement sur le chiffre d'affaires des plateformes". Les modalités exactes de la taxe n'ont pas encore été dévoilées, ni le montant annuel qu'elle devrait rapporter. Reste que la solution ne fait pas que des heureux, à commencer par Deezer et Spotify, et qui pourrait se retourner contre les abonnés.
Taxe streaming audio : une contribution à hauteur de 1,75 % ?
Les débats autour de la question ont débuté en automne 2022, lorsque des députés de la NUPES ont proposé, via des amendements qui ont été rejetés, une contribution obligatoire à hauteur de 1,5 % des revenus des abonnements payants sur les plateformes musicales pour aider le Centre national de la musique à soutenir la création française. Aussi, le sénateur Julien Bargeton (Renaissance) s'est vu confier la mission de savoir comment financer de façon pérenne la filière musicale. Durant six mois, il a réalisé une centaine d'auditions avec plus de 250 professionnels "pour écouter ce que le monde de la musique avait à nous dire", d'après Radio France.
Ce rapport d'une centaine de pages, qui a été rendu le 20 avril 2023, préconise l'instauration d'une taxe de 1,75 % sur les revenus générés par les abonnements de streaming musical ainsi que sur ceux générés par la publicité – pour les abonnements gratuits. Un chiffre donc plus élevé que celui évoqué par la NUPES. D'après Julien Bargeton, cette "taxe streaming" pourrait rapporter près de 20 millions d'euros. La musique classique devrait également contribuer à cette taxe en rapportant 6 millions d'euros. Notons que le spectacle vivant – en particulier la musique en direct – est actuellement taxé à hauteur de 3,5 % sur la billetterie et que, d'après le rapport, ce taux devrait être abaissé à 1,75 %, soit au même niveau que la taxe streaming par souci d'équité. Le sénateur estime que le CNM "doit désormais se déployer pleinement pour lui permettre de répondre à sa vocation de rassembler la filière musique, du spectacle vivant à la musique enregistrée". Il en va de la "souveraineté culturelle française", le secteur de la musique ayant déjà été ébranlé par la crise de la Covid.
Le 21 juin, à l'occasion de la Fête de la musique, Emmanuel Macron a annoncé que le projet était désormais en cours, comme le rapportait BFMTV. Il avait ainsi demandé à la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak de réunir "sans délai l'ensemble des acteurs de la filière", écrivait l'Élysée dans un communiqué. Si aucun accord avec ces entreprises n'a été trouvé à propos du financement et de la rémunération des artistes avant le 30 septembre, "le Gouvernement devait réserve la possibilité de saisir le Parlement d'une contribution obligatoire des plateformes de streaming". Ces nouveaux financements seraient nécessaires pour "préserver la souveraineté culturelle française" et offrir "une juste rémunération des artistes et des créateurs".
Taxe streaming audio : une mesure qui divise le secteur
La mesure du Gouvernement a engendré de vives réactions, en divisant fortement le secteur de la musique. Jack Lang, ancien ministre de la Culture, s'était déjà félicité en août dernier de l'idée d'une telle taxe, la qualifiant de "mesure de justice qui confortera la diversité musicale et renforcera les créateurs et les musiciens indépendants". Plusieurs organismes représentatifs de l'industrie musicale (Prodiss, UPFI, SMA…) sont favorables à une telle taxe d'un faible montant "qui pourrait suffire à compléter le schéma de financement du CNM sans perturber les modèles économiques". "Nous nous réjouissons que le gouvernement ait pris cette décision, soutenue par les députés et les sénateurs", a réagi sa directrice générale Malika Séguineau de rodiss, estimant que c'était "le seul dispositif qui permet de doter le CNM d'un financement pérenne et équilibré".
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— NISKA (@Niska_Officiel) October 4, 2022
Mais tout le monde n'est pas de cet avis. Si le SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique) et La Scène indépendante – qui représente environ 400 structures – avaient salué l'annonce "d'une concertation sans délai des acteurs de la filière musicale afin de définir une source de financement respectueuse de ses grands équilibres économiques", ils critiquent le fait que cette taxe donnerait un avantage considérable aux concurrents américains. En effet, les entreprises européennes, dont Deezer et Spotify, seraient contraintes d'augmenter leur tarif pour garder la tête hors de l'eau, alors que nous sommes en période d'inflation. "La situation du streaming reste fragile. Les plateformes françaises et européennes dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique n'ont pas atteint le seuil de rentabilité. Elles opèrent de surcroît sur un marché moins dynamique ici que dans les autres grands pays de la musique, dans un contexte de concurrence accrue et d'incertitude sur l'intelligence artificielle".
Les acteurs du monde du rap ne voient également pas les choses d'un bon œil. Ils se sentent particulièrement visés par cette taxe et ont peur d'être lésés. "Non à la taxe streaming. Taxe anti-rap. Taxe raciste. Taxe non justifiée", avait dénoncé à l'époque le rappeur Niska. Le rap reste l'un des styles de musique les plus dépendants du streaming. L'écoute en ligne représentait plus de 87 % de la consommation des albums de rap au Top 200 France au premier semestre 2020, selon le SNEP. En comparaison, seul 17 % de la variété est écoutée en streaming, de même que 38 % pour la pop. Pourtant, le rap représente une part considérable de la production musicale française. Début 2020, 85 % des morceaux dits "urbains" au Top 200 Albums étaient des productions françaises, contre 55 % pour la pop, 60 % pour l'électro/dance et 20 % pour le rock. Par conséquent, le rap risque d'être le registre qui contribuera le plus au financement du CNM.
Taxe sur le streaming audio : les abonnés vont devoir passer à la caisse
Mais cette taxe pourrait bien se retourner contre les utilisateurs. Stéphane Rougeot, le directeur adjoint du service de streaming numéro deux en France, s'était exprimé sur le sujet auprès de BFMTV en août dernier. Il dénonçait une "taxe anti-Deezer" car elle frapperait le service "de manière totalement disproportionnée par rapport aux autres plateformes". En effet, il réalise 60 % de son chiffre d'affaires en France, contre moins de 3 % pour ses concurrents, comme Spotify. Par conséquent, il payerait beaucoup plus que ces derniers. "À un moment où les enjeux de souveraineté, que ce soit la souveraineté numérique ou culturelle, sont des enjeux assez forts, Deezer, [qui est] une plateforme française, se retrouverait beaucoup plus frappée et beaucoup moins compétitive", avait assuré Stéphane Rougeot.
Ne pouvant répercuter la taxe sur les ayants-droits — ce n'est pas prévu dans les contrats — et n'étant pas en mesure de l'absorber non plus en raison de son fragile équilibre financier, Deezer a déjà annoncé qu'il n'aura "pas le choix" d'augmenter les tarifs de ses abonnements. Et difficile de croire que les autres plateformes ne suivront pas le mouvement, d'autant plus qu'Apple Music, Spotify et YouTube Music ont tous augmenté leurs tarifs au cours des derniers mois. Pour une taxe censée être "indolore" pour les consommateurs, pour reprendre les mots de Julien Bargeton, on repassera…
De son côté, Spotify a également fait par de son mécontentement. "L'adoption de cette taxe est vraiment un coup dur porté au secteur de la musique, à l'innovation et aux plateformes indépendantes européennes comme Spotify ou Deezer", a regretté Antoine Monin, le directeur général de Spotify France, sur franceinfo 14 décembre. E,n effet, selon lui, cette décision "fait le jeu des GAFA", qui ont les moyens d'absorber les taxes. "Nous versons 70% de nos revenus aux ayants droit de la musique, vous ajoutez à cela une TVA à 20 %, une taxe sur les services numériques à 3 %, une taxe sur les services vidéo à 5 % et maintenant une taxe streaming à 1,75 %. Comment voulez-vous que nous puissions opérer sur un marché comme la France ?" C'est bien simple, si la taxe voit le jour, Spotify désinvestira en France. Antoine Monin suggère qu'à la place, ce soit l'ensemble de la filière qui contribue — ventes de dinyles et de CD, les radios musicales...