Les ordinateurs bientôt plus chers avec la redevance sur la copie privée ?
Fixes ou portables, neufs ou reconditionnés, les ordinateurs pourraient bientôt coûter plus cher en France car l'industrie musicale aimerait leur appliquer la redevance pour copie privée. Un projet qui fait grincer des dents…
Alors que la question de la redevance pour copie privée sur les smartphones et tablettes reconditionnés n'est toujours pas réglée, les ordinateurs pourraient bientôt être taxés à leur tour. En effet, la taxe s'applique initialement aux tablettes, smartphones, disques durs et clés USB, qui sont des appareils avec une capacité de stockage, comme le rappelle le site officiel. Or, en 2022, la cour de Justice de l'Union européenne établissait que copier une œuvre dans le cloud constituait bien une reproduction de l'œuvre. Il n'en fallait pas plus pour attirer les ayants droits, qui désirent ajouter les ordinateurs à la liste des appareils taxés – avec des millions d'exemplaires vendues chaque année, cela représente une énorme source de revenus. Après avoir plaidé en ce sens pendant plusieurs mois, ils ont finalement obtenu le lancement d'une étude d'usage allant dans ce sens, avec un sondage qui doit être réalisé d'ici l'été 2024, comme le rapporte l'Informé. Les choses s'accélèrent !
Le but de ce sondage est de savoir si les consommateurs utilisent leur ordinateur pour réaliser des copies d'œuvres protégées, comme des films ou de la musique. Si c'est le cas, la commission copie privée pourra voter une redevance sur les ordinateurs, qui taxerait les PC sous Windows, mais aussi les Mac et les ordinateurs tournant sous Linux, qu'ils soient fixes ou portables, neufs ou reconditionnés. Notons que la commission envisage d'intégrer au calcul les échanges de fichiers copiés de CD sur le cloud. Pour faire simple, si des services comme Google Drive, Dropbox ou iCloud sont utilisés pour copier et partager des œuvres protégées entre proches, alors les ordinateurs servant à se rendre sur ces services devraient être taxés.
Une bien mauvaise nouvelle pour les consommateurs, alors que les méthodes d'évaluation, jugées obsolètes, opaques et injustes, sont fortement critiquées, comme en témoigne le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection des affaires culturelles (IGAC) en octobre dernier, qui recommande de réévaluer les méthodes d'évaluation des usages – la manière dont on détermine la façon et la fréquence dont nous créons des copies d'œuvres culturelles –, étant donné que la dernière mise à jour du barème repose sur une évaluation de 2017. La taille de l'échantillon de ces études, jugé trop restreint, et la complexité dans les questions posées sont également critiquées. En moyenne, la redevance pour copie privée rapporte 300 millions d'euros par an aux ayants droit. Une somme qui devrait s'accroître dans les prochaines années pour frôler les 400 millions d'euros.
Smartphones reconditionnés : toujours taxés par la rémunération pour copie privée
Pour bien comprendre ce que cela implique, il faut avoir clairement en tête ce qu'est la rémunération pour copie privée. Chaque fois que vous achetez un smartphone, une tablette ou tout autre appareil électronique contenant de la mémoire de stockage, vous payez une petite taxe spéciale, en plus des autres classiques comme la TVA : la fameuse RCP, ou rémunération pour copie privée. Destinée à la fois aux créateurs, aux producteurs et ayants droits d'œuvres artistiques, elle compense les pertes dues aux copies privées autorisées par la loi. L'un des nombreux "hic", c'est qu'elle s'applique aussi bien aux appareils neufs qu'aux produits reconditionnés – avec un barème différent. Et c'est l'application de cette double "redevance" qui fait tiquer les professionnels du reconditionnement comme les associations de consommateurs depuis son entrée en vigueur, fin 2021. Car elle n'est pas anodine : la RCP "bis" représente en effet 10,08 euros – TVA comprise – sur le prix final d'un smartphone reconditionné disposant de 64 Go de stockage, par exemple. Et c'est sans compter sur le RCP – de 14 euros dans notre exemple – déjà prélevée sur le prix du produit neuf ! Une forme de "double peine" pour les consommateurs concernés, qui cherchent à plus à faire durer ces produits coûteux… Voilà pourquoi l'UFC-Que-Choisir et les reconditionneurs contestent avec véhémence cette mesure depuis son application, la jugeant totalement absurde, d'autant plus que la loi est est aussi censée réduire l'empreinte environnementale du numérique en France !
Pour rappel, la rémunération pour copie privée a été instaurée en France en 1985 pour faire payer ceux qui achètent des dispositifs de stockage – y compris des appareils intégrant du stockage permanent, comme des ordinateurs ou des smartphones – leur droit de réaliser des copies d’œuvres culturelles pour leur usage personnel. Par exemple, l'utilisateur peut extraire les morceaux de musique d'un CD et les convertir en MP3 pour les écouter sur son smartphone, son baladeur ou son autoradio. Cette redevance prend la forme d'un forfait fixe, déterminé par un barème en fonction de la capacité de stockage de l'appareil – et non de son prix de vente. Au départ, cette redevance s'appliquait aux cassettes, aux CD et aux DVD vierges, puis s'est étendue à tous les appareils pouvant stocker des données afin de protéger les droits d'auteur et les ayants droit. Aujourd'hui, les ordinateurs, les disques durs, les clés USB, les tablettes et les smartphones neufs sont donc tous soumis à cette taxe en fonction de leur capacité de stockage. En novembre 2021, elle a aussi été étendue aux appareils reconditionnés, et un nouveau barème a été mis en place. Autant dire que celui-ci n'a pas été très bien accueilli, ni par les reconditionneurs – qui le jugent trop élevé et ne peuvent se dégager de marge – ni par les associations écologiques – car il ne permet pas de réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, au contraire. En effet, pour parvenir à se dégager une marge, les reconditionneurs – et on ne parle pas ici de géants comme Black Market, qui servent seulement d'intermédiaire – sont obligés de hausser le tarif de l'appareil conditionné pour compenser la redevance. Au final, elle finit par se répercuter sur l'acheteur final : le consommateur.
Les ayants droit, eux, sont loin de s'en plaindre, au contraire, puisque la taxe pour copie privée leur a rapporté 172 millions d'euros en 2019 rien que pour le smartphone. Le problème, c'est que les usages ont bien changé. Désormais, la consommation d’œuvres culturelles sur ce support se fait surtout via des plateformes de streaming légales et, le plus souvent, payantes. De ce fait, l'utilisateur ne possède pas le contenu, il paye seulement pour avoir le droit de l'écouter. Et s'il les télécharge afin de pouvoir les écouter sans avoir besoin de connexion Internet, tout est automatiquement supprimé une fois l'abonnement résilié. En plus, les plateformes ont déjà rétribué les ayants droit pour pouvoir diffuser leur contenu. Un comble ! Et c'est encore plus injuste pour un appareil reconditionné étant donné que la redevance s'est appliquée une première fois lors de l'achat initial, puis est appliquée à chaque fois que l'appareil passe entre les mains d'un nouvel utilisateur. Sans oublier qu'augmenter les prix des produits reconditionnés, c'est prendre le risque de décourager ces derniers de se tourner vers cette offre, qui est beaucoup plus écologique – la grande majorité des gaz à effets de serre d'un appareil est produite lors de sa fabrication, et sa fin de vie engendre des déchets électroniques. Face à ses problématiques, un rapporteur public du Conseil d'État avait donc "recommandé l'annulation du barème des téléphones et tablettes reconditionnées ", comme le rapportait l'Informé fin novembre.
Taxe pour copie privée : une annulation temporairement annulée
C'est avec beaucoup de soulagement qu'on avait appris, fin décembre, que la "redevance" pour la copie privée sur les smartphones reconditionnés avait été annulée par le Conseil d'État, qui avait finalement décidé de suivre les recommandations du rapporteur public, comme le rapportait le média L'Informé. En effet, elle était vivement contestée puisque son paiement "permet" aux propriétaires d'appareils de stockage de tous types (smartphones, tablettes, disques durs...) de copier le contenu d'un CD ou DVD. Or, cette pratique est devenue désuète avec l'avènement du streaming. De plus, elle s'applique plusieurs fois pour les appareils reconditionnés – à chaque vente/reconditionnement –, ce qui n'incite pas le consommateur à se diriger vers ce marché, et donc à réduire son empreinte carbone. Toutefois, la victoire n'était en demi-teinte puisque la rémunération pour la copie privée n'avait été supprimée non pas à cause de son absurdité, mais à cause d'un vice de forme. En effet, la commission chargée d'appliquer les barèmes était incomplète lors de son vote l'année dernière, avec notamment l'absence des représentants des consommateurs.
Cette suppression devait prendre effet le 1er février 2023, ce qui devait faire baisser le prix des appareils reconditionnés de quelques euros. On notait toutefois que les consommateurs qui avait fait l'acquisition d'un smartphone reconditionné pendant cette période ne seraient pas remboursés du prix de la taxe, puisque l'annulation n'aurait pas été à effet rétroactif – un moyen d'éviter de trop nombreux litiges avec la société Copie France. Une somme qui avoisinait tout de même les 20 millions d'euros, et ce uniquement pour les téléphones reconditionnés ! Pas étonnant qu'ils ne veulent pas faire une croix dessus !
Taxe copie privée : les appareils reconditionnés n'y échappent toujours pas
Mais la réjouissance avait été de bien courte durée pour les vendeurs d'appareils reconditionnés et les consommateurs ! En effet, l'annulation de la "redevance" pour la copie privée sur les smartphones reconditionnés, qui avait été décrétée fin décembre par le Conseil d'État, avait à son tour été annulée début janvier, comme le rapportait là encore le média L'Informé. Comme cette annulation avait été prononcée à cause d'un vice de forme, plusieurs membres de la commission en charge des barèmes étant absents lors du vote qui a permis l'ajout des smartphones reconditionnés aux appareils soumis à la redevance, Copie France, l'organisme qui a pour mission de récolter les recettes de cette redevance, avait eu la permission pour essayer de trouver une solution d'ici à que l'annulation soit effective, c'est-à-dire jusqu'au 1er février 2023. Et c'est exactement ce qu'elle a fait. La commission devait donc se réunir un peu plus tard avec les douze représentants de l'industrie culturelle, six représentants des consommateurs et six représentants de fabricants et importateurs de matériels, afin de déterminer le nouveau barème, comme cela aurait dû être fait initialement. Celui-ci, que s'était procuré l'Informé, est strictement identique au précédent. S'il devait être validé, la redevance aurait donc toujours été de 8,40 € HT pour un téléphone reconditionné de plus de 64 Go, contre 14 € HT pour un modèle neuf. Pour une tablette reconditionnée, elle aurait alors été de 9,10 € HT.
Les smartphones et tablettes vont donc faire l'objet d'une nouvelle étude financée par les ayants droit afin de réévaluer la taxe actuelle. La Fédération Française des Télécom (FFT) avait proposé d'installer sur les smartphones de 2 000 usagers – avec leur accord, bien évidemment – un logiciel pour évaluer le volume de copies privées d'œuvres transitant sur leur appareil, mais la proposition a été refusée par les ayants droit, jugeant la proposition intrusive et nocive pour les études existantes. Bref, le problème est loin d'être réglé !