Wizz : l'application de rencontres pour ados au cœur de sextorsions

Wizz : l'application de rencontres pour ados au cœur de sextorsions

Wizz, le Tinder des adolescents, vient d'être banni du Play Store et de l'App Store. L'appli est au cœur de plusieurs affaires sordides de sextorsion, avec des prédateurs qui font chanter leurs jeunes victimes après avoir obtenu des photos intimes.

Les adolescents raffolent des réseaux sociaux, que ce soit pour garder le contact avec leurs amis, partager leurs passions, suivre leurs influenceurs préférés, rencontrer de nouvelles personnes ou tout simplement se divertir. Mais si les parents connaissent généralement les dangers de Facebook, TikTok, Instagram ou encore Snapchat, certains réseaux leur sont plus obscurs. Cette fois, tous les projecteurs sont braqués sur Wizz, une application de rencontres pour adolescents. Lancée en 2019 par l'éditeur français de jeux mobiles et d'applications Voodoo, elle se présente comme un "espace sûr" qui permet à des utilisateurs, à partir de 13 ans aux États-Unis et de 15 ans en France, de se connecter à des groupes de personnes d'un âge similaire au leur et d'échanger autour de leurs passions. Téléchargée plus de 14 millions de fois dans le monde depuis son lancement, elle s'est même parfois classée parmi les dix applications de réseaux sociaux les plus téléchargées sur l'App Store. Sauf que, cette semaine, Wizz a finalement été retirée du Play Store et de l'App Store.

D'après NBC News, cette décision a été prise après que le Centre national contre l'exploitation sexuelle, un organisme américain chargé de lutter contre les abus et l'exploitation sexuelle, a contacté Apple pour évoquer ses inquiétudes quant à l'utilisation de Wizz dans le cadre d'escroqueries par sextorsion – contraction de sexe et d'extorsion. Il s'agit d'une forme de chantage, dans laquelle un escroc menace de diffuser des photos ou des vidéos intimes de la victime, à moins qu'elle ne lui envoie de l'argent ou d'autres contenus à caractère sexuel. Le Centre a tenu à remercier Apple et Google pour ce retrait sur X, saluant "une démarche de responsabilité sociale essentielle pour la sécurité en ligne". De son côté, Wizz a indiqué travailler "en étroite collaboration avec les équipes pour clarifier les mesures de protection étendues de notre plateforme pour les utilisateurs. Nous espérons résoudre ce problème rapidement".

© Voodoo

Wizz : un Tinder pour ados qui pose problème

Wizz permet aux utilisateurs de se connecter avec des personnes du monde entier, de discuter en direct et de partager des images et des vidéos avec eux. Ils peuvent sélectionner leurs amis en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur localisation – qui est affichée par défaut sur leur profil ! – et de leurs centres d'intérêt. Une fonction "communauté" permet de réunir des personnes partageant les mêmes centres d'intérêt : jeux, sport, musique, films et bien d'autres choses encore. Cela a plutôt l'air innocent au premier abord, mais plusieurs aspects de l'application posent un problème.

Premièrement, bien que le téléchargement de Wizz soit gratuit, des achats in-app et des abonnements hebdomadaires ou mensuels sont disponibles et font l'objet d'une forte publicité sur la plateforme. Les utilisateurs peuvent acheter des "pièces" pour ajouter des amis, ou payer un abonnement pour éviter les publicités et être le meilleur profil pendant une durée limitée. De plus, toute personne souhaitant télécharger l'application doit fournir sa date de naissance et télécharger une photo – que Wizz scanne à l'aide d'une IA pour vérifier qu'elle a bien l'âge qu'elle prétend avoir. Une bonne initiative, mais qui ne suffit pas à vérifier l'âge des utilisateurs. En effet, ce système n'est pas infaillible. Il suffit de rentrer une fausse date de naissance et d'envoyer une photo d'enfant lambda – une photo trouvée sur Internet, un selfie de sa petite sœur, etc. – pour le tromper.

L'application est connue pour sa fonction Swipe – faire défiler l'écran avec le doigt sur le côté – similaire à ce que l'on trouve chez les applications de rencontres pour adultes, ce qui fait qu'on la surnomme le "Tinder pour adolescents". Les utilisateurs peuvent consulter les profils d'inconnus et choisir de glisser d'un côté pour les écarter ou de l'autre pour entamer une conversation. Autant dire que, avec la faillibilité de la vérification d'âge, cela ouvre la porte à l'escroquerie, au chantage, à la manipulation psychologique et au chantage sexuel. Bien évidemment, il n'y a aucune fonction de contrôle parental.

© Voodoo

Wizz : de la rencontre au chantage sexuel

Selon une étude du Network Contagion Research Institute, une organisation à but non lucratif qui étudie la propagation de l'extrémisme et de la haine en ligne, l'application Wizz a été utilisée par des personnes pour entrer en contact avec de jeunes utilisateurs dans le cadre de sextorsions. "La sextorsion sur Wizz est omniprésente et dangereuse. La conception de l'application [...] a favorisé un environnement propice à la propagation de la sextorsion. L'absence de protocoles de sécurité robustes pour contrecarrer la création de nouveaux comptes de sextorsion, couplée à l'incapacité de la plateforme à identifier efficacement de tels stratagèmes ou à modérer adéquatement les sextorsion existantes, crée un environnement intrinsèquement risqué pour les mineurs", explique l'organisme, appelant à "une action urgente pour protéger les utilisateurs, en particulier les mineurs". "Certaines victimes déclarent avoir été ciblées par des sextos quelques minutes après avoir rejoint l'application, ce qui suggère que les criminels ont saturé Wizz", indique l'étude. Certains utilisateurs ont même affirmé que l'application diffusait des publicités pornographiques à des mineurs. 

L'application est malheureusement défavorablement connue de plusieurs organismes d’État ou associatifs. Selon le Centre canadien de protection de l'enfance (C3P), une organisation caritative nationale axée sur la sécurité des enfants, Wizz était la septième plateforme la plus mentionnée dans les rapports de sextorsion transmis à sa ligne d'information entre juin 2022 et le mois dernier. Une histoire qui n'est pas sans rappeler le site Rencontre Ados, qui propose aux 13-25 ans (!) d'entrer en contact avec d'autres adolescents et qui, en réalité, accueille essentiellement des délinquants sexuels et des pédophiles, à la recherche de jeunes proies sans défense (voir notre article). Plus récemment, l'application Crush avait suscité de vives inquiétudes. Sans compter que de nombreuses plateformes, en apparence inoffensives, sont en réalité de véritables nids de prédateurs, à l'image de Discord et des plateformes comme feu Omegle, Bigo ou Coco (voir notre article).