Rencontre Ados : l'application supprimée du Play Store, le Gouvernement saisit la Justice

Rencontre Ados : l'application supprimée du Play Store, le Gouvernement saisit la Justice

Destinée aux 13-25 ans, la plateforme Rencontre Ados propose aux jeunes de faire des rencontres. Mais elle accueille surtout des prédateurs sexuels et des pédophiles, à la recherche de jeunes proies sans défense…

Suite aux différentes enquêtes réalisées par les médias, les choses commencent à bouger pour Rencontre Ados ! Google s'est finalement décidé à supprimer l'application – qui était uniquement disponible sur Android, et non sur iOS – du Google Play. Le géant de la tech a expliqué cette décision à BFMTV comme faisant suite à un non-respect des règles du magasin d'applications, que nous avions déjà relevé (voir plus bas). De son côté, le ministre délégué au Numérique a saisi la procureure de la République et pris contact avec l'entreprise afin de faire bouger les choses.

Rencontre Ados : la plateforme préférée des prédateurs sexuels et des pédophiles

Les adolescents raffolent des réseaux sociaux, que ce soit pour garder contact avec leurs amis, partager leurs passions, suivre leurs idoles, rencontrer de nouvelles personnes ou tout simplement s'amuser. Mais si les parents connaissent généralement Facebook, TikTok, Instagram ou encore Snapchat, certains réseaux échappent à leur vigilance ainsi qu'à celle des autorités. C'est le cas de plateformes comme Omegle, Bigo ou Coco, qui mettent en contact des inconnus afin qu'ils échangent entre eux et abritent de nombreux délinquants sexuels et pédophiles (voir notre article). Mais ce ne sont pas les seules ! Attirant de plus en plus de mineurs, Discord est devenu un véritable terrain de chasse pour les pédophiles qui utilisent la plateforme pour traquer des victimes et échanger des contenus pédopornographiques. 

Dernièrement, une plateforme nommée Rencontre Ados est sous le feu des projecteurs, et pas pour de bonnes raisons. Créée en 2006 et dérivée en application Android en 2022, elle propose à des jeunes entre 13 et 25 ans de discuter en privé en fonction des personnes les plus proches de chez eux. Le concept est déjà problématique, en raison de la fourchette d'âge : rendez-vous compte, certains sont au collège, tandis que d'autres sont déjà bien insérés dans la vie active ! La différence d'âge et de maturité est tout simplement énorme ! Car si Rencontre Ados attire des adolescents en quête d'interactions sociales, elle est également très appréciée par des personnes bien moins attentionnées. Un problème souligné depuis des années, mais en vain… 

Rencontre Ados : un terrain de chasse pour les pédophiles et les charognards

Pour s'inscrire sur la plateforme, il suffit d'indiquer son prénom, son adresse mail et sa date de naissance. Aucune vérification n'est réalisée, tout est uniquement déclaratif. On peut par la suite ajouter une photo, personnaliser son profil en répondant à un questionnaire – situation amoureuse, orientation sexuelle, description physique, religion, rapport à l'alcool et au tabac… – et ajouter une courte description. Ensuite, il n'y a plus qu'à devenir ami avec d'autres utilisateurs et à engager la discussion. L'accueil du site est constitué d'un fil d'actualité, qui permet de voir qui est ami avec qui, les j'aime, les nouvelles photos des membres, ainsi que les nouveaux inscrits et les derniers sujets sur le forum. Ce dernier aborde d'ailleurs très souvent des sujets autour du sexe. 

Nous avons voulu tester Rencontre Ados en nous faisant passer pour Emilie, 13 ans, un peu timide et à la recherche d'amis. Pas besoin de photo de profil, dix minutes ont suffi pour que nous soyons submergés par des demandes d'amis et des dizaines de messages privés (MP) – uniquement d'hommes –, et ce sans n'avoir rien à faire. Officiellement, nos interlocuteurs ont, pour la grande majorité, entre 17 et 25 ans. Les conversations commencent innocemment, en nous demandant comment ça va, ce que nous faisons, etc. Mais, très vite, on nous demande ce que nous cherchons sur le site. Et là, les conversations dérapent. On nous explique sans détour chercher une copine ou des relations "peu importe l'âge" – rappelons que nos interlocuteurs sont pour la plupart majeurs, et que nous n'avons officiellement que 13 ans ! – ou on nous demande de discuter sur d'autres plateformes, comme Snapchat, Instagram ou Discord. Un moyen de passer aux "choses sérieuses" afin d'envoyer et de recevoir des photos et des vidéos, ce qui n'est pas possible sur Rencontre Ados. Certains ne s'embarrassent pas de préliminaires et entrent directement dans le vif du sujet – mention spéciale à "Feetlover", très intéressé par "les beaux pieds, surtout quand ils sont petits comme les tiens"

Et nous sommes loin d'être un cas isolé ou malchanceux ! De nombreuses utilisatrices ont témoigné sur X – le nouveau nom de Twitter, rien à voir avec de la pornographie. C'est le cas d'Angélique, qui s'est créé un compte sur Rencontre Ados, après en avoir entendu parler par une amie et sa fille. Elle se rend rapidement compte que les personnes qui la contactent ne sont pas réellement des adolescents, mais des hommes aux comportements prédateurs, dont un qui lui dit sans détour n'être "intéressé que par les filles plus jeunes." Une autre utilisatrice partage le profil d'un homme, dont la description affiche : "Je paie s'il faut. 150 euros négociables mais discrétion totale demandée, merci". Oui, on est clairement sur de la prostitution. 

Rencontre Ados : les utilisateurs sonnent l'alarme sur le Play Store

Pourtant, la réputation de Rencontre Ados n'est pas dissimulée. Sur la page de l'application sur le Play Store, avant qu'elle ne soit supprimée, de nombreux avis signalaient des problèmes de bugs, mais surtout la présence de prédateurs sexuels sur la plateforme. "Uniquement des prédateurs sexuels, des personnes dont l'âge n'est pas vérifié et qui ont en réalité souvent plus de 35 ans", "cette appli est remplie à 95 % de pédophiles et de prédateurs sexuels !", "l'application nous met en relation avec des prédateurs parfois majeurs et ne protège pas les plus jeunes comme moi. N'installez pas cette application si vous avez moins de 18 ans et que vous avez tendance à être naïf", "application bourrée de pédophiles et de 'daddy' qui cherchent des jeunes filles"... Les avis ne laissaient pas de place au doute.

L'application était d'ailleurs classifiée PEGI 18 par Google, alors qu'elle se destine à des ados de 13 ans. "Le classement dans la catégorie 'Pour Adultes' est appliqué lorsque le niveau de violence représenté est intense et/ou contient des éléments spécifiques de violence. Cela peut aussi inclure un contenu à caractère sexuel évident, de la discrimination ou l'apologie de la consommation de stupéfiants", indique la firme de Mountain View dans ses règles sur la classification. Attention, l'application reste toujours utilisable pour ceux l'ayant déjà sur leur smartphone, et on peut toujours se connecter à son compte via le site Internet. De son côté, le règlement sur le site de Rencontre Ados stipule qu'"il est strictement interdit de remplir son profil avec de fausses informations" et surtout, que "les mineurs de plus de 13 ans doivent demander l'autorisation à leurs parents"

Rencontre Ados : pourquoi le site peut difficilement être interdit

Les associations de protection de l'enfance et les médias alertent sur le problème de Rencontre Ados et des sites similaires depuis de nombreuses années, en vain. En 2021, Le Figaro consacrait déjà une enquête au problème des prédateurs qui infiltraient les sites de rencontre pour adolescents, tout comme BFMTV et Libération en 2019. Interrogé par Franceinfo, l'éditeur de Rencontre Ados indique être "pleinement conscient de ce problème". Il indique également à BFMTV bannir une centaine de personnes par jour. Il précise d'ailleurs qu'un système de pénalité a été mis en place, avec des degrés différents selon la gravité de l'infraction, mais il avoue que le manque de modérateurs le rend insuffisant. Sur le site, une petite annonce a d'ailleurs été déposée pour recruter des modérateurs, qui doivent obligatoirement faire partie de la communauté de membres vérifiés de la plateforme. Le seul véritable garde-fou est l'obligation d'être "ami" avec la personne pour pouvoir lui envoyer des messages.

Mais alors, pourquoi Rencontre Ados et ses comparses n'ont-ils toujours pas été interdits ? Invitée de Franceinfo le 22 août, la secrétaire d'État en charge de l'Enfance, Charlotte Caubel, a indiqué que "l'objectif n'est pas d'interdire certains sites mais de réglementer, limiter et responsabiliser les plateformes", puisqu'une interdiction entraînerait simplement une migration vers d'autres sites. Le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, a réagi ce 24 août sur Franceinfo : "Je veux dire à ceux qui se livrent à ce type de comportements criminels qu'ils peuvent être retrouvés et condamnés". En effet, toute proposition sexuelle d'un adulte à un mineur est passible de deux ans de prison. Face à la multiplication des signalements contre Rencontre Ados au cours des dernières semaines, le Gouvernement a décidé de saisir la procureure de la République. "J'ai pris contact avec le site (Rencontre Ados, ndlr), avec lequel je vais échanger aujourd'hui pour améliorer sa coopération avec les autorités", a-t-il ajouté.

En France, la loi du 7 juillet 2023 impose désormais une majorité numérique de 15 ans, qui régule en théorie l'utilisation des réseaux sociaux pour les plus jeunes, mais le dispositif n'est pas encore entré en application. Un contrôle parental devra également être installé par défaut sur tous les équipements à partir de juillet 2024 (voir notre article). Mais la prévention reste, pour le moment, la meilleure protection, auprès des jeunes comme des parents. Pour cela, le Gouvernement a mis en place une nouvelle plateforme, jeprotegemonenfant.gouv.fr, afin d'aider les parents à accompagner leurs enfants dans l'usage des écrans et du numérique. Il est primordial d'instaurer un cadre préventif et de dialogue autour des potentiels dangers d'Internet, aussi bien du côté des comportements (cyberharcèlement, revenge porn, cyberattaques, addictions aux écrans, pédophilie…) que des contenus consommés par les plus jeunes (fake news, pornographie, violences, challenges dangereux à reproduire, contenus sensibles, etc.). Prudence est mère de sûreté !