Blocage des sites X : il va falloir prouver son âge avec une carte bancaire

Blocage des sites X : il va falloir prouver son âge avec une carte bancaire

Alors que la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) vient d'être définitivement adoptée, l'Arcom exige que certains sites porno vérifient l'âge de leurs visiteurs avec leur carte bancaire, afin d'éviter leur accès aux mineurs.

De l'accès aux sites pornographiques au bannissement des réseaux sociaux, le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (SREN) est aussi ambitieux que controversé. S'inscrivant dans la continuité de la loi Avia de 2020, il a été définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 11 avril dernier (voir notre article). Il aborde notamment la mise en place d'un filtre anti-arnaque, le renforcement des sanctions contre les personnes condamnées pour cyberharcèlement et le renforcement de la sanction des plateformes en cas de non-retrait de contenus pédopornographiques en ligne (voir notre article). Un point en particulier échauffe les esprits depuis plusieurs mois : le blocage des sites pornographiques pour les mineurs.

En effet, les cinq sites pornographiques les plus populaires en France – à savoir Pornhub, Tukif, Xhamster, Xnxx et Xvideos – indiquent bien sur leur page d'accueil qu'ils sont pornographiques et que l'accès est interdit aux mineurs : "Ce site Internet réservé à un public majeur et averti est conforme à toutes les réglementations françaises en vigueur. Il contient des textes, photos et vidéos classés X qui peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes".

Mais c'est tout. Il est très facile pour un enfant, quel que soit son âge, de cliquer sur le bouton "Entrer" en certifiant sur l'honneur "avoir pris connaissance du caractère pornographique de ce site et être majeur selon les lois en vigueur dans [s]on état ou [s]on pays". Bref, un avertissement de pure forme qui n'empêche en aucun cas de voir des contenus pornographiques et, qui plus est, contrevient à la législation française (voir notre article). Aussi, la nouvelle loi est censée obliger les sites X à vérifier réellement l'âge de leurs visiteurs. Aussi, ils vont demander une vérification par carte bancaire. Mais tous les sites pour adultes ne sont pas concernés, car le passage de la loi en Commission mixte paritaire l'a considérablement affaibli...

Blocage des sites X : un texte à la portée fortement diminuée

Pour rappel, le projet de loi visait initialement à autoriser l'Arcom à faire bloquer et à déréférencer, sans décision judiciaire, tout site pornographique qui ne procéderait pas à une vérification d'âge pour toute connexion d'un internaute français. Il s'agissait de renforcer ce contrôle, déjà obligatoire dans la loi, mais qui n'est en réalité pas appliqué. Si après expiration d'un délai de quinze jours suivant une mise en demeure de l'Arcom, le site n'était toujours pas en conformité, il s'exposait à une amende de 250 000 euros et à un an de prison, voire plus en cas de manquements habituels. Les fournisseurs d'accès et fournisseurs d'hébergements avait alors quarante-huit heures pour empêcher l'accès aux adresses fautives.

Le problème, c'est que la version finale du texte limite considérablement la portée de la mesure. Si la loi adoptée prévoit bien que l'Arcom doit "élaborer un référentiel général fixant les exigences techniques auxquelles devront se conformer les systèmes de vérification d'âge des sites pornographiques, sous peine de lourdes amendes", la mesure ne concerne désormais plus que les plateformes établies en France – comme Jacquie et Michel – ou hors de l'Union européenne.

Concrètement, les géants du porno comme Pornhub, Xvideos, Xhamster – les trois sites pour adultes les plus consultés dans l'Hexagone – ou encore YouPorn seront donc épargnés. Un changement qui est dû à la Commission européenne, qui a plusieurs fois rappelé au Gouvernement que, en vertu de la directive sur le commerce électronique de 2000, les fournisseurs de ces services en ligne sont soumis dans l'UE au droit de l’État membre dans lequel ils sont établis, et non à d'autres règles nationales, et ce, afin qu'ils ne risquent pas de faire face à autant de régulations que de pays membres. Si les autorités françaises souhaitent prendre des mesures, elles devront passer par les autorités locales pour chaque site pornographique concerné, au cours d'une procédure longue et complexe qui pourrait ne jamais aboutir.

Blocage des sites pornos : une mesure difficile à mettre en place

Les sénateurs ont amendé le texte pour imposer aux sites pornographiques l'affichage systématique d'un message d'avertissement avant la diffusion de tout contenu comportant la simulation d'un viol ou d'une agression sexuelle, et pour permettre à l'Arcom de bloquer le téléchargement des applications qui ne respecteraient pas le contrôle légal des limites d'âge. De leur côté, les députés y ont apporté quelques modifications afin que l'Autorité publie le référentiel technique sur le contrôle de l'âge pour les sites pornographiques dans les deux mois de la publication de la loi et que les sites s'y conforment dans les trois mois.

Reste à savoir comment vérifier l'âge des internautes se rendant sur les sites pornographiques. Lors de l'adoption du texte par l'Assemblée nationale, l'article 1er du projet de loi précisait que l'Autorité serait chargée d'imaginer une solution technique efficace et protectrice des données personnelles et de la faire appliquer aux plateformes, et ce, dans un délai de deux mois après la promulgation de la loi. Une disposition qui se heurte à un problème technique, car un tel dispositif est très difficile à mettre en place. Le sujet est d'autant plus sensible que la CNIL a exclu toute solution consistant à transmettre une pièce d'identité aux sites X, afin de protéger la vie privée des internautes. Le système de double anonymat semblait être la meilleure solution, si bien que le Gouvernement avait annoncé des premiers tests durant le printemps 2023. Une mesure qui est loin d'avoir convaincu les associations de protection de l'enfance et dont nous n'avons plus de nouvelles aujourd'hui...

Blocage des sites X : la solution temporaire de la carte bancaire

Mais l'Arcom n'a pas traîné. Elle a d'ores et déjà publié son projet de référenciel, qui est maintenant soumis à la consultation publique jusqu'au 13 mai. Elle va d'abord imposer aux sites pour adultes concernés de vérifier l'âge de leurs visiteurs avec leur carte bancaire – autrement dit, les internautes devront saisir leur numéro de carte bancaire avant d'accéder aux contenus  –, avant d'exiger des solutions beaucoup plus robustes dans six mois. Elle explique que ce filtrage peut s'opérer "soit sous forme de paiement de 0 euro, soit sur simple authentification (sans paiement)".

Des garde-fous sont toutefois mis en place. Ainsi, le processus devra obligatoirement passer par un tiers indépendant, tandis qu'il faudra s'assurer de la validité et de l'existence de la carte, et procéder à une authentification à double facteur. Notons que le site Jacquie et Michel avait mis en place cette solution de la carte bancaire il y a quelques temps… avant de se faire retoquer par l'Arcom. Quelle ironie !

Mais la carte bancaire n'est qu'une solution temporaire, car l'Autorité va exiger des solutions beaucoup plus robustes dans six mois. Elle estime en effet que cette première méthode n'est pas assez efficace, étant donné qu'un mineur de 16 ou 17 ans peut être titulaire d'une carte bancaire. Aussi, à terme, l'instance souhaite imposer une identification à deux facteurs à chaque consultation de l'un de ces sites, sur présentation d'un document d'identité, d'une carte bancaire ou grâce à l'utilisation de systèmes de vérification d'âge par analyse des traits du visage. Toutefois, "la validité d'une vérification d'âge doit s'interrompre lorsque l'utilisateur quitte le service, c'est-à-dire lorsque la session prend fin, lorsque l'utilisateur quitte son navigateur ou lorsque le système d'exploitation entre en veille et, en tout état de cause, après une période d'une heure d'inactivité". Cette vérification à chaque accès vise à empêcher les plateformes de conserver les documents d'identité renseignés par les utilisateurs. Les différents sites "demeureront libres de choisir les solutions de leur choix" du moment "qu'elles respectent les exigences techniques du référentiel". Soumis à consultation publique, le projet pourra recevoir des contributions des différents acteurs du secteur jusqu'au 13 mai.