Nvidia investit dans Intel : que faut-il attendre de ce partenariat historique ?

Nvidia investit dans Intel : que faut-il attendre de ce partenariat historique ?

L'annonce a eu l'effet d'une bombe. Nvidia a décidé d'injecter injectant 5 milliards de dollars dans son rival historique Intel. Une coopération technologique inédite qui devrait relancer Intel et donner à Nvidia un nouvel outil industriel.

C'est l'annonce choc du jour. À la surprise générale, Intel et Nvidia ont annoncé ce jeudi 18 septembre 2025 une collaboration inédite et même historique qui devrait bouleverser durablement le secteur des composants électroniques, et notamment des puces pour centres d e données et des processeurs pour PC. Un partenariat à la fois stratégique et technologique qui se traduit immédiatement par un investissement de Nvidia d'un montant de 5 milliards de dollars en achat d'actions Intel, comme l'explique l'entreprise dans son communiqué de presse.

Intel et Nvidia : deux géants américains en pleine mutation

Pendant des décennies, Intel a régné sur l'industrie des semi-conducteurs. Ses processeurs x86 équipaient la quasi-totalité des ordinateurs personnels, ses innovations dictaient le rythme des avancées dans l'informatique et ses marges confortables lui assuraient une domination presque incontestée. L'entreprise était synonyme de puissance de calcul, son logo gravé dans la mémoire de plusieurs générations d'utilisateurs de PC.

À l'opposé, Nvidia, fondée en 1993, a longtemps fait figure de "petit joueur", en se spécialisant dans les puces graphiques (GPU), cantonnées aux joueurs et aux passionnés de 3D. Un domaine où l'entreprise règne en maitre depuis des années avec ses fameuses GeForce RTX. Mais en développant une véritable expertise dans le traitement parallèle et les circuits programmables, le groupe californien a fait très tôt le pari de l'IA, en prenant un énorme avance technologique sur la concurrence, bouleversant ainsi l'ordre établi. En l'espace de vingt ans, il s'est imposé comme le moteur de l'intelligence artificielle, au point d'être aujourd'hui l'entreprise la plus valorisée du secteur technologique.

Cette bascule a changé tous les équilibres. Tandis que Nvidia s'érigeait en champion de l'IA, Intel a accumulé les contretemps technologiques et les faux pas stratégiques, perdant peu à peu son statut d'acteur incontournable.

Intel et Nvidia : entre succès et crises

Depuis plusieurs années, Intel enchaîne les difficultés. Sur le plan technologique, le groupe accuse un retard face à TSMC dans la gravure avancée. Là où son concurrent taïwanais a accéléré, Intel a souvent accumulé des retards dans ses propres procédés de fabrication.

Sur le marché, AMD grignote des parts de plus en plus importantes, tant sur les PC que sur les serveurs, grâce à des gammes très performantes et compétitives – ses Ryzen étant de plus en plus performants face aux Core d'Intel, d'autant qu'ils in-grent des circuits graphiques bien plus puissants. En parallèle, Nvidia s'est imposé comme le fournisseur incontournable de l'IA avec des GPU toujours plus puissants et des architectures taillées pour les centres de données. Intel, historiquement dominant dans les processeurs, peine à trouver sa place dans l'écosystème IA.

La direction a aussi été profondément remaniée : départ de Pat Gelsinger, arrivée de Lip-Bu Tan au printemps 2025, suppressions de postes massives, recentrage industriel. Intel cherche encore à redéfinir sa stratégie tout en rassurant ses investisseurs.

Si Nvidia domine l'IA, les vents contraires se multiplient, en particulier en Chine. Les autorités chinoise viennent en effet de demander aux grandes entreprises du pays de cesser d'acheter certaines puces Nvidia, même celles spécialement conçues pour contourner les restrictions américaines. Parallèlement, l'entreprise fait l'objet d'enquêtes anti-monopole dans le pays.

Ces décisions fragilisent sa visibilité sur un marché clé et obligent Nvidia à diversifier ses partenaires. L'investissement dans Intel s'inscrit aussi dans ce contexte : s'ancrer davantage aux États-Unis et sécuriser des relais industriels pour compenser une dépendance trop forte à TSMC et au marché chinois. Accessoirement, ou pas, c'est aussi un signal fort envoyé à Donald Trump, le président américain incitant les entreprises à réinvestir dans leurs outils industriels aux États-Unis, avec son fameux slogan "Make America Great Again".

Intel et Nvidia : un partenariat technologique et industriel

Comme els entreprises l'ont annoncé, Nvidia va donc investir 5 milliards de dollars dans Intel, achetant des actions ordinaires à 23,28 dollars l'unité. Avec environ 4 % du capital, le groupe devient l'un des principaux actionnaires. L'annonce a aussitôt fait bondir l'action Intel de près de 30 % à Wall Street, en entraînant d'autres hausses plus légères dans le secteur de semi-conducteurs, à la grande joie des boursicoteurs.

Mais l'essentiel n'est pas là. Le communiqué officiel insiste sur le volet industriel : Intel et Nvidia développeront plusieurs générations de puces pour centres de données et pour PC. Le partenariat repose notamment sur l'intégration des processeurs x86 (CPU) d'Intel avec les circuits graphiques (GPU) de Nvidia, reliés par la technologie NVLink, afin d'augmenter la vitesse de communication entre les composants.

L'intégration CPU-GPU plus étroite pourrait améliorer la puissance et l'efficacité des systèmes, un atout majeur pour l'IA et le calcul intensif. La baisse de latence et les transferts de données accélérés devraient permettre de mieux exploiter les GPU Nvidia pour des tâches comme l'apprentissage automatique ou la gestion de modèles de langage.

Pour les PC, Intel prévoit de lancer des systèmes sur puce x86 intégrant des GPU Nvidia de classe RTX, les plus puissantes actuellement dans le secteur du graphisme. Cela pourrait offrir une alternative crédible à AMD et aux puces ARM, avec des machines plus homogènes et plus performantes pour les utilisateurs.

Dans les centres de données, l'association de CPU Intel conçus sur mesure avec les GPU Nvidia promet une plus grande efficacité énergétique et donc une réduction des coûts de fonctionnement. Mais Intel doit prouver qu'il est capable de livrer à temps des processeurs fiables et compétitifs, tandis que Nvidia devra assurer la compatibilité logicielle et matérielle de ses architectures.

Intel et Nvidia : un énorme pari sur l'avenir

Pour Intel, ce partenariat est une tentative de rattrapage. En s'associant avec Nvidia, il espère retrouver une crédibilité dans l'IA et replacer son architecture x86 au cœur des plateformes modernes. Pour Nvidia, l'intérêt est clair : sécuriser un ancrage industriel aux États-Unis, diversifier ses dépendances, et gagner un levier supplémentaire pour compenser les turbulences géopolitiques.

Face à eux, AMD pourrait voir se dessiner une menace plus directe, tandis que TSMC restera un acteur incontournable mais sous pression. Les régulateurs, eux, observeront de près cette coopération inédite entre deux géants du secteur.

L'accord ne doit toute fois pas être surinterprété. Nvidia n'a pas confié la fabrication de ses GPU à Intel : la fonderie du groupe américain n'est pas encore dans l'équation. Le défi industriel reste entier pour Intel, qui doit réduire ses coûts et rattraper son retard technologique.

Les obstacles réglementaires ne sont pas à écarter non plus. Les autorités pourraient craindre une concentration excessive du marché. Quant au contexte international, les tensions USA-Chine sur les semi-conducteurs continueront d'influer sur la réussite du projet.

Si le plan se déroule comme prévu, on pourrait voir apparaître, d'ici deux ou trois ans, des serveurs IA et des PC équipés de puces combinant CPU Intel et GPU Nvidia, plus performants et plus économes. Cela permettrait à Intel de regagner une place centrale, notamment face à AMD, et à Nvidia de renforcer son emprise sur le marché de l'IA en s'assurant un partenaire local puissant.

Mais si les retards s'accumulent ou si les obstacles politiques et économiques freinent le projet, l'alliance pourrait n'être qu'un geste symbolique. Le pari est audacieux, et son succès dépendra autant de la maîtrise industrielle que des équilibres géopolitiques. Et les prochaines années promettent d'̂être passionnantes pour les acteurs et les observateurs du secteur.