Apple et l'Europe : amende, DMA, IA, rien ne va plus

Apple et l'Europe : amende, DMA, IA, rien ne va plus

Face aux pression de la Commission européenne, qui évoque une amende record de 40 milliards de dollars, Apple menace de ne pas intégrer ses nouvelles fonctions d'IA dans ses produits en Europe. Un bras de fer au goût de poker.

Parmi les nouveautés annoncées lors de la dernière conférence d'ouverture de la WWDC 2024 (la conférence des développeurs Apple, lire notre article), trois fonctions ont particulièrement frappé les esprits. Il y a bien sûr la panoplie d'outils d'Intelligence Artificielle, rassemblés sous la bannière Apple Intelligence, la firme à la Pomme ayant ainsi réussi à se réapproprier le sigle AI en anglais. Avec iOS 18 sur l'iPhone et macOS 15 Sequoia sur le Mac, on pourra également d'un clic afficher l'écran de son iPhone sur son Mac et même interagir avec le smartphone via la souris de son ordinateur. Une façon très pratique d'accéder depuis son Mac à des applications qui n'existent pas pour macOS et ce, même si l'iPhone est dans la pièce d'à côté. Notons enfin la possibilité avec iPadOS 18 de piloter à distance l'écran d'un autre iPad pour aider un utilisateur sans être assis à côté de lui. Intéressant non ? Sauf que nous ne pourrons peut-être pas en profiter. Nous ? Les utilisateurs européens.

En effet, la firme de Cupertino a fait la déclaration suivante au quotidien Financial Times, dans son édition du 21 juin dernier : "En raison des incertitudes réglementaires engendrées par la Loi sur les marchés numériques [plus souvent désignée par son acronyme anglais DMA pour Digital Markets Act], nous ne pensons pas pouvoir proposer trois de ces fonctionnalités [celles citées ci-dessus] auprès de nos utilisateurs de l'Union Européenne cette année". Autrement dit, Apple reproche à l'Europe d'avoir mis en place une réglementation trop floue qui ne lui permet pas de proposer de nouvelles fonction à ses utilisateurs de peur de se voir ensuite mis à l'amende par la Commission Européenne.

© CCM - Créée par IA Bing - Dall-E 3

Apple et l'Europe : pas d'amende, sinon…

Il faut dire qu'Apple est déjà potentiellement sur le point de se voir infliger une amende décidée par la même Commission Européenne et qui pourrait aller jusqu'à 10% de son chiffre d'affaires mondial annuel, ce qui pourrait correspondre à quelque 40 milliards de dollars. Même pour Apple, cela reste salé.

Le motif ? Une potentielle réponse inadaptée aux exigences du DMA justement. Le Digital Markets Act oblige en effet les entreprises de la tech considérées comme des "contrôleurs d'accès" (gatekeepers en anglais) à s'ouvrir à la concurrence, un des leitmotiv bien connus de l'Union Européenne. Les gatekeepers, ce sont donc toutes les big tech, souvent appelées les GAFAM, donc Google, Amazon, Facebook (aujourd'hui Meta) et Microsoft.

Dans le cas d'Apple, c'est donc le DMA qui l'a obligé à autoriser les places de marché alternatives, autrement des magasins d'applications concurrents de son propre App Store (lire notre article). Mais il semble que les règles mises en place par Apple à cet effet, que certains n'hésitent pas à qualifier "d'usine à gaz", soient considérées comme insuffisantes par la Commission Européenne. Tellement même que Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la concurrence, semble préparer le terrain à une amende imminente en déclarant qu'Apple avait un certain nombre de problèmes "très sérieux" concernant les règles européennes.

La Commission a en effet ouvert une enquête en mars dernier sur d'éventuelles infractions d'Apple, notamment autour du fameux Core Technology Fee, cette taxe infligée à tous les développeurs d'applications ou presque, même s'ils distribuent leurs créations en dehors de l'App Store d'Apple, et que la commission pourrait bien considérer comme disproportionnée. De là à penser qu'Apple tente de faire pression en menaçant de ne pas proposer certaines nouvelles aux européens, il n'y a qu'un pas.

Apple et l'Europe : le DMA n'est pas si flou que ça

On ne peut pas nier que les lois et réglementations européennes sont loin d'être faciles à lire. Le DMA par exemple est un document dense de plus 66 pages. Cela dit, Apple dispose de suffisamment d'avocats pour le lire en détail et ils n'ont sûrement pas pû rater le paragraphe 3 de l'article 8 qui indique notamment qu' « Un contrôleur d'accès peut demander à la Commission d'engager un processus afin de déterminer si les mesures que ce contrôleur d'accès entend mettre en œuvre ou a mises en œuvre pour se conformer aux articles 6 et 7 atteignent effectivement l'objectif de l'obligation pertinente dans la situation spécifique du contrôleur d'accès ». Autrement dit, il suffit à Apple de demander à la Commission si les nouvelles fonctions prévues restent bien dans les clous définis par la réglementation. Seulement, cela demanderait à Apple de dévoiler une partie de ses plans à l'avance, ce que la firme se refuse à faire, même à un panel très réduit.

Apple et l'Europe : que va-t-il rester aux utilisateurs européens ?

La déclaration d'Apple risque-t-elle vraiment de nous priver d'une partie des nouvelles fonctions d'iOS 18, iPadOS 18 et macOS 15 ? Rien n'est moins sûr en réalité. Notons tout d'abord que la citation du Financial Times se termine par « cette année ». Ce qui signifie qu'Apple n'est évidemment sûre de rien. Et comment pourrait-il en être autrement puisque ce serait certainement très difficile, même pour une entreprise de la taille et du niveau technique d'Apple, de gérer deux versions si différentes l'une de l'autre de son système d'exploitation.

Et rappelons aussi que lors de la présentation des nouvelles fonctions d'IA, Apple a indiqué qu'elles ne fonctionneraient au début qu'en anglais, sur des appareils réglés sur la région nord-américaine. Donc, de toutes façons, les fonctions d'Intelligence Apple sont par essence réservées aux américains. Et même eux ne pourront pas en profiter tout de suite car de nombreuses fonctions présentées lors de la WWDC ne seront pas disponibles avant la fin de l'année prochaine, voire l'année prochaine, sans autre précision.

Autrement dit, les européens que nous sommes n'ont aucune raison de se précipiter pour acheter tout de suite un iPhone 15 Pro ou Pro Max, les deux seuls modèles d'iPhone qui seront capables de faire tourner ces fameuses fonctions d'IA. Quant aux autres nouvelles fonctions, y compris celles visées par la menace défensive d'Apple, elles seront peut-être retardées. Mais, dans le contexte, leur disparition totale des appareils vendus en Europe reste très improbable.