Auchan, Carrefour, Leclerc et Picard assignés en justice pour discrimination numérique

Auchan, Carrefour, Leclerc et Picard assignés en justice pour discrimination numérique

Quatre géants de la distribution en France sont assignés en justice à cause de leurs sites de courses en ligne, inadaptés aux personnes aveugles et malvoyantes. Une discrimination numérique qui ne passe pas.

C'est une grande première en France. Les associations ApiDV (Accompagner, Promouvoir, Intégrer les Déficients Visuels) et Droit Pluriel, ainsi que le collectif de juristes Intérêt à Agir, ont annoncé, dans un communiqué publié ce mercredi 12 novembre, assigner en justice quatre géants de la grande distribution française, à savoir Carrefour, Auchan, Leclerc et Picard. Ils leur reprochent l'inaccessibilité numérique de leurs sites de courses en ligne pour les deux millions de personnes malvoyantes et aveugles, et ce, malgré l'obligation légale en vigueur depuis le mois de juin. En ne se conformant pas à la législation, ils feraient preuve de discrimination numérique.

Accessibilité numérique : une obligation légale mais souvent ignorée

Les trois organismes avaient déjà lancé un ultimatum aux enseignes le 7 juillet dernier en leur envoyant une mise en demeure. Pour utiliser un site Internet, une personne malvoyante ou aveugle a recours à un lecteur d'écran et à une commande vocale. Aussi, pour être accessible, le site doit être développé de sorte que tous les éléments soient activables par clavier et clairement lisibles par la commande vocale, tout en assurant une navigation fluide et logique dans la structure du site ou de l'application. Or, des audits menés par des personnes aveugles ou malvoyantes avaient révélé plusieurs obstacles bloquant la navigation en ligne, comme des contrastes insuffisants, l'absence d'alternatives textuelles pour les images, des liens inaccessibles au clavier, une structure de page défaillante... Tous ces défauts empêchent les utilisateurs de finaliser une commande de manière autonome.

Pourtant, cette demande d'accessibilité numérique n'arrive pas de nulle part. Depuis 2016, les grandes entreprises ont l'obligation légale de rendre leurs services en ligne accessibles à tous, obligation qui a été étendue à presque toutes les entreprises en 2023. Cette évolution législative découle de la directive européenne 2019/882, dite Acte européen sur l'accessibilité, qui s'applique depuis le 28 juin 2025 et a tout de même laissé deux ans aux entreprises pour se mettre en conformité. Mais aucune avancée significative en matière d'accessibilité numérique n'a été constatée par les associations et le collectif, qui ont décidé de passer à l'attaque.

Discrimination numérique : les quatre enseignes attaquées en justice

Dans leur communiqué, les organismes mettent l'accent sur le cas d'E. Leclerc, qui est assez alarmant. Au moment de la mise en demeure de juillet 2025, le site affichait une déclaration d'accessibilité respectant à peine 32 % des critères du RGAA (le référentiel général d'amélioration de l'accessibilité), un taux resté inchangé depuis mai 2023. Suite à un audit réalisé le 28 août 2025, cette déclaration a été mise à jour pour atteindre les 50 %. Une amélioration qu'il convient de souligner, mais qui est encore très insuffisante, d'autant plus que "le pourcentage de 50 % couvre l'ensemble des critères d'accessibilité sans distinguer entre ceux qui ne concernent que des éléments annexes et ceux qui auront un impact majeur pour les utilisateurs en situation de handicap visuel", note Intérêt à Agir.

Les associations sont parvenues à échanger avec Carrefour, E. Leclerc et Picard. Interrogé par Les e-novateurs, le premier revendique un site "71 % accessible" et indique qu'un plan de déploiement est en cours pour améliorer encore ce taux d'accessibilité, ce qui fait qu'il est assez surpris de son assignation en justice. De son côté, Picard assure prendre très au sérieux les attentes exprimées. "L'objectif est de progresser étape par étape, avec des indicateurs transparents et mesurables. Des actions correctives ont d'ores et déjà été réalisées", indique le groupe. En revanche, Auchan n'a pas daigné répondre. Dans tous les cas, les associations ont estimé qu'aucune action concrète n'a été menée pour rendre ces services accessibles. 

En tout cas, elles comptent bien l'emporter ! Elles s'appuient sur une victoire juridique obtenue le 21 mai 2024, lorsque le Tribunal administratif de Paris avait condamné l'État pour l'inaccessibilité des logiciels de l'Éducation nationale. Ce serait un premier pas, étant donné que, selon l'Observatoire de la Fédération des aveugles et amblyopes, seulement 3,4 % des sites Internet des grandes entreprises respectent vraiment les normes d'accessibilité.