Signature scannée : une pratique courante mais risquée
La valeur juridique d'une signature scannée est un sujet complexe. Et une récente décision de la cour de Cassation na va pas arranger l'affaire en semblant entrer en contradiction avec une précédente décision de cette même cour.
La pratique de la « signature scannée » a-t-elle une véritable valeur juridique ? C'est une question qui revient souvent et dont la réponse peut avoir des conséquences plus ou moins sérieuses pour les entreprises comme pour les particuliers. D'autant plus que la jurisprudence en la matière ne semble pas particulièrement stable, comme le prouve une récente décision de la Cour de Cassation, la plus haute instance de l'ordre judiciaire en France, qui semble entrer en contradiction avec une précédente décision de cette même cour.
Pour rappel, la signature scannée désigne le fait d'apposer une image numérisée d'une signature manuscrite sur un document, comme un contrat, une facture ou une lettre. La pratique est devenue très répandue car elle particulièrement commode, rapide et peu coûteuse : pour « signer » un document de cette façon, il suffit de prendre sa signature en photo ou de la numériser avec un scanner, puis de l'insérer dans le document voulu via un lecteur de PDF ou un traitement de texte. Si ce mode de signature est parfaitement légal, il dispose en revanche d'une valeur juridique faible, bien que non nulle.
Signature scannée : des décisions de justice apparemment contradictoires
En effet, une signature scannée étant facilement falsifiable, elle ne permet pas d'identifier le signataire avec certitude ni de garantir l'intégrité du document signé, c'est-à-dire de s'assurer qu'il n'a pas été modifié entre le moment où il a été signé et celui où il est consulté. De ce fait, la signature scannée dispose d'une force probante faible et, en cas de litige, constitue uniquement un « commencement de preuve par écrit », qui doit être croisé avec d'autres éléments et qui ne constitue pas à lui seul une preuve du consentement su signataire aux obligations qui découlent du document signé.
C'est cette interprétation qui ressort de la décision n° 22-16.487 du 13 mars 2024 de la Cour de Cassation, qui a invalidé un contrat entre deux entreprises, au motif que celui-ci était uniquement revêtu de signatures scannées. Cependant, un peu moins de deux avant auparavant, la même Cour de Cassation, dans sa décision n° 21-19.841 du 14 décembre 2022, avait validé le rejet de la plainte d'un salarié qui contestait la validité de son contrat de travail au motif... qu'il était revêtu de la signature scannée de son employeur. Les professionnels aguerris du droit n'y verront certainement aucune contradiction, mais pour nous autres simples mortels, la situation peut laisser perplexe.
Signature scannée : valable tant qu'elle n'est pas contestée par son auteur
Dans l'affaire la plus ancienne, un salarié avait signé un contrat de travail à durée déterminée qui a été rompu très rapidement par son employeur (le lendemain). Le salarié a ensuite attaqué l'employeur aux prud'hommes en demandant la requalification du CDD en CDI, au motif que le contrat initial n'était revêtu que de la signataire scannée de l'employeur et que celle-ci n'avait pas de valeur juridique. En effet, en droit du travail, un contrat à durée déterminée non signé par l'une des parties est considéré comme nul et requalifié en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas précis, le salarié a cependant été débouté en première instance puis en appel, et la Cour de Cassation a validé ces deux jugements au motif « qu'il n'était pas contesté que la signature en cause était celle du gérant de la société et permettait parfaitement d'identifier son auteur, lequel était habilité à signer un contrat de travail » et qu'en conclusion « la signature manuscrite numérisée du gérant de la société ne valait pas absence de signature ».
Dans le second litige, une entreprise a obtenu un financement participatif auprès d'une autre, mais lui a annoncé quelques mois plus tard être dans l'incapacité de rembourser le prêt. En complément du contrat de financement initial, une promesse de cession des parts sociales de l'entreprise emprunteuse, en cas de défaillance de celle-ci, avait été conclue au profit du financeur, qui a donc demandé l'exécution de ce contrat. Mais l'emprunteur a contesté la validité de cette promesse de cession, au motif qu'elle n'était revêtue que de signatures scannées et qu'il ne reconnaissait pas la sienne. Les tribunaux de première instance et d'appel ont donné raison à l'emprunteur et la Cour de Cassation a validé leurs jugements, au motif que « le procédé consistant à scanner des signatures, s'il est valable, ne peut être assimilé à celui utilisé pour la signature électronique qui bénéficie d'une présomption de fiabilité ». Ainsi, le degré de fiabilité d'une signature scannée étant faible, des éléments de preuve complémentaires doivent être apportés lorsqu'elle est contestée, et dans le cas présent les différents tribunaux ont jugés que les éléments fournis « sont insuffisants à rapporter la preuve que [les signataires] auraient personnellement consenti à l'apposition de leur signature scannée sur l'acte de cession ou donné des instructions en ce sens ».
Signature scannée : bien moins sûr qu'une signature électronique
C'est donc la reconnaissance de la signature scannée par son auteur qui constitue le nœud du problème dans ces deux affaires et qui explique la différence entre les jugements rendus par les différents tribunaux. La signature scannée est bien une pratique valable qui permet d'exprimer son consentement aux obligations résultant d'un acte juridique et elle peut servir d'élément de preuve dans un litige, tant qu'aucune des parties ne contestent être l'auteur de sa signature. Dans le cas contraire, comme la signature scannée ne permet pas d'identifier avec certitude la personne à l'origine de l'apposition de la signature sur le document, elle ne pourra pas constituer à elle seule la preuve irréfutable que l'acte a été signé de façon régulière. Aussi pratique soit la signature scannée, il vaut donc mieux la réserver aux actes et documents internes qui présentent peu de risques de litiges ou de contentieux, comme l'indique justement la fiche thématique du site France Num dédiée à la signature électronique.
Sur cette page très détaillée, il est rappelé que la signature scannée est assimilée à une signature électronique simple, de "niveau 1", soit le plus faible niveau de fiabilité et de force probante : « Sa valeur juridique est limitée, car elle ne garantit pas l'intégrité des données signées ni l'identité du signataire, etc. Elle peut toutefois valoir commencement de preuve par écrit. Sa vocation est de simplifier des processus internes où la signature est indispensable (autorisations, accusés de réception, commandes, contrats, etc.) ». Pour les actes et documents plus sensibles, il est recommandé de se tourner vers les niveaux supérieurs de signature électronique, à savoir avancé (niveau 2), avancée reposant sur un certificat de signature électronique qualifié (niveau 3) et qualifiée (niveau 4).
Contrairement à la signature scannée, ces niveaux de signatures électroniques reposent sur des procédés techniques et cryptographiques, qui permettent d'identifier avec certitude le signataire et de garantir l'intégrité du document signé. Ces méthodes de signature électronique sont en revanche plus lourdes à mettre en place, et nécessitent le recours à un tiers dont les services sont payants en fonction du niveau de fiabilité recherché. Pour déterminer le bon niveau de signature électronique à retenir, il convient donc d'étudier attentivement le degré de sensibilité des documents à signer et les risques juridiques associés en cas de litige. Si les actes juridiques nécessitant un tel niveau de protection sont assez peu nombreux dans la vie d'un particulier, ils sont en revanche courants dans l'activité de toute entreprise, et disposer au moins d'une signature électronique avancée (de niveau 2) s'avère indispensable.