SISPoPP : tout savoir sur le nouveau fichier des tribunaux qui inquiète tant
Le SISPoPP, un fichier mis en place dans les tribunaux, inquiète grandement les associations et syndicats. Initialement destiné à lutter contre les violences intrafamiliales, il contient des informations personnelles hautement sensibles.
Comment réagiriez-vous si vous saviez que l'État stockait des détails sur l'ensemble de votre vie professionnelle et privée ? Non, il ne s'agit pas d'un film ou d'un roman dystopique, mais du nouvel outil de la justice : un système informatisé de suivi de politiques pénales prioritaires, ou SISPoPP pour les intimes. Promulgué par un décret paru en octobre dernier, son but est tout à fait louable, puisqu'il est "destiné à améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales". Pour faire simple, il est censé permettre aux juges d'accéder à davantage d'informations lorsqu'ils doivent statuer sur des affaires de violences familiales. Certains tribunaux ont d'ores et déjà commencé à le mettre en place.
Le problème, c'est que ce fichier a été élargi à d'autres secteurs. Comme le révèle Médiapart le 21 décembre 2023, il pourrait désormais contenir des données comme l'orientation sexuelle, l'appartenance syndicale, les opinions politiques ou l'origine ethnique des personnes. Aussi, plusieurs organisations, à savoir le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Quadrature du Net, la Ligue des droits de l'Homme, SOS homophobie, la CGT, et Solidaires, ont demandé son interdiction au Conseil d’État.
SISPoPP : un fichier aux nombreuses données sensibles
Si ce traitement automatisé est bien mis en œuvre dans le cadre de "la lutte contre les violences intrafamiliales ", le décret a étendu la liste des objectifs, qui comporte désormais :
- la "lutte contre les infractions commises dans le cadre ou en marge des événements de nature à entraîner un danger grave et imminent pour la sécurité ou l'ordre public" ;
- la "lutte contre les atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou aux personnes chargées d'une mission de service public" ;
- la "lutte contre les infractions commises sur un périmètre local déterminé et suivies dans le cadre des instances partenariales auxquelles participent les magistrats" ;
- la "lutte contre les trafics de stupéfiants" ;
- la "lutte contre les atteintes à l'environnement pénalement réprimées" ;
- la "lutte contre la radicalisation violente".
Le SISPoPP ne concerne pas uniquement les personnes incriminées (mis en cause, mis en examen, témoins assistés, etc.), mais il vise également les personnes faisant l'objet d'un signalement, les victimes et les agents intervenants dans le cadre de la situation suivie. Peuvent également figurer dans le fichier "les personnes apparaissant dans les pièces de procédure et autres documents qui y sont versés". Mine de rien, cela concerne donc beaucoup de monde. Mais c'est surtout le type de données personnelles pouvant être enregistrées qui a suscité la colère des organisations.
SISPoPP : des garanties de confidentialité jugées insuffisantes
Bien évidemment, le SISPoPP peut contenir des informations liées à l'identification des personnes concernées (civilité, nom de naissance, nom d'usage, prénoms, alias, date de naissance...), leurs coordonnées, les données relatives à l'existence d'une incapacité juridique (tutelle, curatelle...), à leur existence administrative (passeport, permis de conduire, carte de séjour...), ainsi qu'à leur situation professionnelle, patrimoniale ou familiale. Rien d'anormal jusqu'ici. Mais en consultant les annexes du texte, on découvre que, dans certains cas, d'autres données pourraient être enregistrées, telles que :
- des données relatives aux opinions politiques et à l'appartenance syndicale ;
- des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique ;
- des données relatives aux convictions religieuses ;
- des données de santé ;
- des données révélant l'origine raciale ou ethnique ;
- et des données génétiques et biométriques.
Des informations hautement sensibles, et qui pourraient être utilisées de façon arbitraire ou à mauvais escient. Les organisations craignent que les personnes interpellées en marge de manifestations dites "à risque" puissent être englobées dans ce cadre très large, voire fourre-tout. Notons que les données sont conservées trois mois "pour les personnes faisant l'objet d'un signalement à l'autorité judiciaire et à l'encontre desquelles aucune procédure judiciaire n'est ouverte", et trois ans pour les victimes, les mis en cause, en examen, les personnes placées sous le statut de témoin assisté, poursuivies ou condamnées concernées par les politiques pénales prioritaires.
Même si la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait bel et bien donné son accord en juin dernier, pour les syndicats et les associations ayant saisi le Conseil d’État, les garanties de confidentialité de ce fichier ne sont pas suffisantes, car le fichier pourrait être consulté par toutes les professions de la justice : les juges, les greffiers, les assistants, les agents de l'administration pénitentiaire, des associations de victimes, et même les préfets et les élus. Une affaire qui n'est pas sans rappeler le scandale lors de la réforme des retraites, où certains tribunaux judiciaires avaient constitué des fichiers illégaux de personnes placées en garde à vue après avoir été interpellées.