Fraude aux compteurs Linky : des particuliers accusés à tort par Enedis

Fraude aux compteurs Linky : des particuliers accusés à tort par Enedis

Pour lutter contre la fraude, Enedis multiplie les contrôles au compteur Linky, quitte à faire des erreurs. Plusieurs particuliers innocents ont été accusés à tort avec des factures de plusieurs milliers d'euros à rembourser.

Le compteur Linky – le compteur électrique intelligent d'Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité en France, qui transmet et reçoit les données à distance – continue de faire débat ! Déployé à partir de 2015 et devenu obligatoire, il équipe désormais 95 % des foyers français, malgré les fortes résistances et les nombreuses critiques et théories du complot que son déploiement forcé a entraîné – il a été soupçonné, entre autres, de produire des ondes électromagnétiques nocives pour la santé ou de collecter des données personnelles utilisées par l'État.

Mais, depuis le début de la crise énergétique en 2022, les cas de fraudes se sont multipliés. Le procédé est connu – des comptes spécialisés expliquent même comment faire sur les réseaux sociaux – : installer une dérivation électrique dans l'appareil afin de fausser votre consommation d'électricité – jusqu'à 75 % ! –, en la rendant bien plus basse que ce qu'elle devrait être. Aussi, Enedis multiplie les contrôles anti-fraude. Sauf que, si l'on en croit l'UFC-Que Choisir, l'entreprise enchaîne les erreurs. Des particuliers tout à fait innocents reçoivent en effet des accusations infondées et des factures de rattrapage de plusieurs millions d'euros.

Compteurs Linky trafiqués : une surveillance élargie

La situation d'Enedis est pour le moins délicate. L'entreprise estime à 100 000 le nombre de compteurs piratés en trois ans, pour un préjudice s'élevant à plusieurs centaines de millions d'euros. "Cette électricité volée est réglée par les non-fraudeurs, via le Tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), payé par tous les utilisateurs du réseau", déplore Bertrand Boutteau, le directeur programme Pertes et fraude d'Enedis. Aussi, le gestionnaire de réseau multiplie les contrôles, passant de 12 000 en 2024 à environ 30 000 cette année. Et pour plus d'efficacité, il ne se contente plus des fraudes dites "certaines", mais traque aussi les cas "quasi-certains" et "probables". Et c'est là que le bât blesse.

© UFC-Que Choisir

L'UFC-Que Choisir rapporte le cas de Sylvain, un homme de 64 ans qui a, un jour, reçu un courrier d'Enedis indiquant que "le compteur de [son] installation présente une succession d'événements, dont la baisse anormale de l'énergie comptabilisée, caractéristique d'une situation de fraude au comptage nécessitant un contrôle de [sa] situation", sans toutefois préciser de quels événements il s'agit. Effectivement, le logement a bien connu une faible consommation du logement entre 2021 et 2023, mais cela s'explique par le fait que la maison était inhabitée depuis le décès de la mère de Sylvain en 2020 et que celui-ci n'a emménagé qu'en 2023. Un technicien d'Enedis vient effectuer un contrôle et confirme l'innocence du retraité. Tout aurait donc dû s'arrêter là.

Mais Sylvain reçoit par la suite un deuxième courrier d'Enedis, qui maintient ses accusations et lui réclame de payer l'équivalent de "6 614 kWh, soit un peu plus de 1 000 euros, plus les frais d'intervention du technicien, d'environ 500 euros". Une somme établie en comparant ses consommations à celles d'un panel de clients au profil similaire.

Compteurs Linky trafiqués : une explosion des litiges

Sylvain n'est pas le seul cas de figure, puisque Jacky Hébert, qui n'est autre que le président de l'UFC-Que Choisir Manche, a lui aussi reçu trois courriers d'accusation, qui "ne laissent quasi aucune place au débat contradictoire et Enedis inverse la charge de la preuve : ce sont aux accusés d'apporter la preuve de leur innocence", fustige-t-il. Même son de cloche pour Odile, 76 ans, habitant près de Saint-Lô. Et, là encore, les anomalies constatées ont des explications tout à fait logiques : la consommation du foyer a baissé à partir de mai 2024 "parce que nous avons arrêté notre pompe à chaleur et nous ne l'avons pas rallumée à l'automne puisqu'il était doux", explique Odile.

Tous ces dossiers ont été heureusement clos. Mais ce n'est pas le cas de celui de Marie-Isabelle et Hervé, qui se sont vus réclamer la somme de 1 359 euros pour une manipulation du 3 mai 2023. "La date correspond au raccordement au réseau de nos panneaux solaires tout juste installés", indique Marie-Isabelle. En réalité, les agents d'Enedis intervenus ce jour-là n'ont pas pris la peine de replomber le compteur, faute d'avoir le matériel nécessaire. Par la suite, forcément, l'électricité prélevée sur le réseau par la famille a baissé puisqu'elle autoconsommait une partie de son électricité solaire. Si le gestionnaire de réseau a bien adressé une lettre d'excuses suite aux réclamations du couple, ce dernier a pourtant reçu, cinq mois plus tard, un avis de prélèvement de la somme réclamée dans le premier courrier.

Le médiateur de l'énergie confirme l'explosion des litiges, passés de moins de 100 en 2024 à près de 200 en 2025, alors que l'année n'est pas encore terminée. Il précise toutefois que "dans la quasi-totalité de ces dossiers, la fraude est avérée". Les erreurs judiciaires seraient donc minoritaires. Mais, si jamais cela vous arrive et que vous êtes réellement innocent, ne signez surtout pas le bordereau rectificatif, conseille l'UFC-Que Choisir. En effet, Enedis a tendance à l'envoyer alors que le débat contradictoire n'est pas encore clos et qu'il est encore possible d'envoyer des éléments pour vous innocenter. "Signer ce bordereau et le renvoyer comme le demande Enedis pourrait être interprété comme une reconnaissance de la faute", met en garde Jacky Hébert. "Il est préférable qu'il ne signe pas le document et qu'il apporte des éléments pour étayer sa contestation", abonde le médiateur de l'énergie.