Ces écrans publicitaires dans les supermarchés vous analysent avec l'IA pour mieux vous cibler
Des supermarchés installent des panneaux publicitaires d'un genre nouveau : équipés d'une caméra, ils utilisent une IA capable d'analyser les clients qui passent devant pour leur vendre des produits adaptés. La CNIL s'inquiète.
La place de l'IA dans notre quotidien ne cesse de grandir : des assistants sur nos téléphones aux algorithmes de recommandation en ligne, elle façonne déjà la façon dont nous travaillons, communiquons, et même consommons. Elle va jusqu'à nous suivre dans les rayons des supermarchés. Comme l'a révélé France TV dans un reportage récent diffusé au journal de 20 h, une technologie d'un nouveau genre scrute les clients qui font leurs courses pour anticiper leurs besoins et leur proposer des produit "faits pour eux".
Dès l'entrée, ou au détour d'une allée, un écran publicitaire équipé d'une caméra analyse discrètement le profil des personnes qui passent à proximité. Sexe, tranche d'âge… Autant de données traitées en temps réel par un algorithme d'intelligence artificielle, censé déduire un profil type et ensuite afficher une suggestion de produit ciblée : un rasoir pour un homme, un jeu vidéo pour un jeune, un calendrier de l'avent pour une femme avec des enfants, etc. Le système peut même mesurer le temps d'attention du client : plus il est long, plus il y a de chances que le consommateur passe à la caisse.
Ce type de dispositifs, commercialisé par Winter Mushroom, est déployé dans certains magasins de grandes enseignes, comme le Leclerc de Thionville, sous couvert d'"expérience client personnalisée". L'objectif annoncé : rendre l'achat plus pertinent, plus fluide, en proposant le bon produit au bon moment. Certains y voient un "coup de génie" marketing, assurant que l'IA permet d'augmenter les chances de satisfaire un besoin – ou d'en créer un, c'est selon. Pour les consommateurs, c'est l'illusion d'un service sur-mesure et de ne pas rater "la" promotion de leur vie. Une scène tout droit sortie d'un épisode de la série Black Mirror.
Et la vie privée dans tout ça alors ? Les enseignes ont beau jurer que la machine ne conserve pas de données personnelles et qu'aucune image des clients n'est enregistrée, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'a pas donné son agrément à la technologique. "Cette technologie n'a reçu aucun agrément de la CNIL et se doit de respecter d'elle-même le RGPD", insiste le gendarme du numérique dans un message publié sur X le 27 novembre dernier.
Ce n'est guère étonnant car analyser un visage pour en tirer des informations comme l'âge ou le genre constitue un traitement biométrique, opération que la CNIL considère comme "hautement sensible". Recueillir ce type de données doit respecter un cadre strict : information explicite, consentement éclairé, finalité proportionnée, suppression des données au bout d'un délai défini…
Ici, l'absence de consentement place de facto le dispositif dans l'illégalité – pour la CNIL, les clients ne peuvent pas consentir à ce type de traitement informatique, par défaut, simplement en faisant leurs courses –, sans compter que la reconnaissance faciale ne peut pas être utilisée à des fins commerciales – les cas d'usage doivent être considérés comme "légitimes".
D'autres dispositifs à base d'IA, par exemple pour empêcher le vol à la caisse automatique, inquiètent déjà la CNIL. Dans ces cas, même si l'objectif paraît légitime, l'autorité rappelle que le traitement doit rester proportionné, que la captation d'image ne doit pas identifier les personnes et que les vidéos ne doivent pas être conservées sans nécessité. Et, là encore, les dispositifs ne respectent généralement pas toutes les consignes…
