Une loi pour encadrer le droit à l'image des enfants sur les réseaux sociaux

Une loi pour encadrer le droit à l'image des enfants sur les réseaux sociaux

Pour protéger le droit à l'image des enfants sur Internet, l'Assemblée nationale vient d'adopter une loi permettant de retirer "l'autorité numérique" des parents qui abuseraient des publications sur les réseaux sociaux.

Pour la secrétaire d'État chargée de l'Enfance Charlotte Caubel, "aujourd'hui, un parent ne peut plus ne pas concevoir le numérique dans l'exercice de l'autorité parentale". Pourtant, alors même qu'ils n'ont pas l'âge de savoir pianoter sur un clavier ou d'utiliser un smartphone, les enfants se retrouvent exposés sur les réseaux sociaux et héritent, dès le début de leur vie, d'un sérieux passif sur Internet, qui pourrait leur être préjudiciable plus tard. Que ce soit au travers de mises en scène destinées à faire rire, d'influenceurs qui utilisent leur vie de famille pour gagner de l'argent ou simplement de photos postées sur Facebook pour montrer à la famille que le petit dernier se porte bien, l'exposition sur Internet n'est pas sans conséquence et le droit à l'image des enfants est rarement respecté.

Face à ces pratiques toujours plus courantes et qui peuvent se révéler dangereuses, l'Assemblée nationale a définitivement adopté le mardi 6 février à l’unanimité une loi visant à responsabiliser les parents et à mieux protéger le droit à l'image des enfants face à certaines dérives, comme le rapporte Le Figaro. Portée par le député Bruno Studer (Renaissance) et soutenue par le Gouvernement, elle s'inscrit dans un ensemble de textes visant à protéger les enfants des dangers des réseaux sociaux, notamment avec l'instauration de la majorité numérique à 15 ans pour les réseaux sociaux (voir notre article). Elle introduit la notion de "vie privée" de l'enfant dans la définition de l'autorité parentale du Code civil. De ce fait, l'enfant possède un droit à l'image qui est exercé en commun par les deux parents en tenant compte de l'avis de l'enfant.

Droit à l'image des enfants : prévenir des dangers et des violences éducatives

Les enfants, avant même qu'ils ne soient en âge de surfer sur la Toile, sont particulièrement exposés sur Internet. Selon des chiffres cités par les parlementaires et l'exécutif, un enfant "apparaît en moyenne sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l'âge de ses 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches". Alors que les parents se doivent de respecter l'intimité et la vie privée de leurs enfants une étude de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open) parue en février 2023 rapporte que 53 % des parents français ont déjà partagé du contenu sur leurs enfants, et 43 % d'entre eux ont commencé dès la naissance de l'enfant.

Parfois, les choses vont plus loin qu'une simple photo d'un goûter d'anniversaire partagée à ses amis. Dans la course aux vues et aux likes, les parents n'hésitent pas à reproduire des "tendances" sur les réseaux sociaux en mettant en scène ou en faisant des "farces" à leurs progénitures. Ainsi, sur TikTok – encore et toujours –, le "Cheese Challenge" a été pendant un moment en vogue. Des vidéos où des adultes s'amusent à jeter une tranche de fromage sur le visage du petit et le filment en train de pleurer et de se débattre comme il peut pour l'enlever, ont été visionnées des millions de fois. La "police des enfants" a  également rencontré un franc succès : le parent diffuse l'enregistrement d'un faux policier qui affirme venir chercher l'enfant puisqu'il n'est pas sage – et bien évidemment, celui-ci est généralement en pleurs, ce qui fait rire les internautes. "Ces pratiques s'apparentent à des violences éducatives numériques, alors qu'on s'est battus pour faire disparaître la fessée et d'autres pratiques humiliantes", s'indignait en mars dernier Thomas Rohmer, président de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique. De plus, les enfants apparaissant sur les clichés ou vidéos se retrouvant souvent dans des situations improbables ou humiliantes, ceux-ci peuvent être par la suite la cible de cyberharcèlement.

La proposition de loi votée par l'Assemblée nationale prévoit que le droit à l'image du mineur soit exercé en commun par les deux parents en tenant compte de l'avis de l'enfant. S'il y a désaccord entre les parents, le juge peut interdire à l'un d'eux "de publier ou diffuser tout contenu sans l'autorisation de l'autre parent". En cas de grave atteinte à la dignité ou à l'intégrité morale de l'enfant, "le particulier, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer l'exercice du droit à l'image de l'enfant" précise le texte. Une sorte de déchéance de "l'autorité parentale numérique" dont le but est de "responsabiliser les parents" tout en montrant aux mineurs que "les parents ne disposent pas d'un droit absolu sur leur image".

Lors de la nouvelle lecture en octobre dernier, les députés avaient adopté contre l'avis du Gouvernement un amendement de l'écologiste Jérémie Iordanoff afin de "permettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de saisir la justice pour demander toute mesure nécessaire à la sauvegarde des droits des mineurs en cas de non exécution et d'absence de réponse à une demande d'effacement des données à caractère personnel".

Enfants sur les réseaux sociaux : le business des influenceurs

La nouvelle loi vise à prolonger celle de 2020 visant à encadrer les horaires et les revenus des mineurs dont l'image est diffusée sur les plateformes. Car oui, qui dit réseaux sociaux, dit influenceurs. Ainsi, selon l'étude de l'Open, 85 % des parents influenceurs publient des photos/vidéos de leurs enfants au moins une fois par semaine, et 38 % au moins une fois par jour. Seulement 44 % d'entre eux déclarent obtenir le consentement de leur enfant avant de publier du contenu sur lui – mais encore faut-il qu'ils comprennent tout ce que cela implique. Certains font de leurs enfants le centre de leur business, et il ne s'agit pas d'une petite apparition de temps en temps. Ils n'hésitent pas à mettre en scène leur vie de famille au sein de vlogs – des blogs vidéo – afin de générer le maximum de revenus publicitaires ou à pratiquer l'unboxing – l'adulte filme pendant que l'enfant déballe des jouets ou divers produits pour en faire la promotion. D'ailleurs, 47 % des parents influenceurs déclarent que cette activité est devenue leur seule source de revenu.

Pour les plus gros comptes ou chaines YouTube, la cadence est énorme, avec parfois plusieurs vidéos par jour. Parmi les plus connues sur YouTube, on peut citer Swan & Néo (plus de 6 millions d'abonnés, créée en 2015) et Studio Bubble Tea (près de 2 millions d'abonnés). Et cela n'est pas sans conséquence pour les enfants. Toujours selon l'étude de l'Open, 60 % des parents influenceurs affirment qu'il faut jusqu'à une heure de préparation et que deux à dix prises sont nécessaires avant une publication. Là encore, seulement 42 % déclarent ne pas empiéter sur le temps de repos, des devoirs ou des loisirs de leurs progénitures pour la production de contenus. Malheureusement, tous n'ont pas connaissance de la loi d'octobre 2020, selon laquelle les parents qui diffusent l'image d'un enfant de moins de 16 ans sur une plateforme de partage de vidéos doivent demander une autorisation ou un agrément auprès de l'administration. De plus, une partie des revenus perçus doit être placée à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant. Pourtant, 33 % des parents influenceurs ignorent l'existence de cet encadrement légal...

En février 2023, l'influenceuse Poupette Kenza avait été placée en garde à vue dans une enquête pénale portant sur "des faits qualifiés de soustraction par le parent d'un enfant mineur sans motif légitime à ses obligations légales compromettant sa santé, sécurité, moralité ou son éducation", après que des internautes l'aient accusée de surexposer ses enfants sur les réseaux sociaux. Plus tôt en janvier, l'influenceuse Jessica Thivenin avait elle aussi reçu un flux de critiques pour avoir mis en scène son fils de 3 ans, en lui faisant croire qu'elle lui touchait le visage avec des excréments.

Enfants sur les réseaux sociaux : les dangers de la pédocriminalité

Un des problèmes d'Internet, outre le fait que tout contenu posté reste des années sur le Web, c'est que les publications peuvent vite échapper à tout contrôle et être détournées de leur but initial, tout à fait innocent. Ainsi, Bruno Studer révèle que "50 % des photos qui s'échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux. Certaines images, notamment les photos de bébés dénudés ou de jeunes filles en tenue de gymnastique, intéressent tout particulièrement les cercles pédocriminels".

En 2018, Le Roi des rats, un youtubeur spécialisé dans les dérives d'Internet, avait enquêté et identifié un réseau d'internautes qui se partageaient des milliers de vidéos YouTube d'enfants pratiquant la gymnastique. "Dès qu'on voit un grand écart, un justaucorps, de la nudité, les vidéos de ces enfants, qui ne dépassent que très rarement la centaine de vues, font plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers de vues", expliquait le youtubeur. En suivant la trace de ces vidéos, il était arrivé sur un réseau de partage de vidéos pour pédophiles. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres... Il est donc plus que jamais primordial de sensibiliser les parents aux dangers du numérique et de prendre les précautions nécessaires (voir notre article). Et, en cas de publication d'une photo de famille, mieux vaut apposer un sticker sur le visage de l'enfant ou le flouter complètement (voir notre fiche pratique) !