Affaire WeTransfer : que voulait faire le service avec les fichiers de ses utilisateurs ?
Le service de transfert de fichiers WeTransfer a discrètement modifié ses conditions d'utilisation, s'accordant une licence très large sur les fichiers de ses usagers. Face à la polémique et aux protestations, l'entreprise a rapidement rétropédalé.
Pendant quelques heures, ce lundi 15 juillet 2025, la Toile et les réseaux sociaux se sont enflammés à propos de WeTransfer. En cause : une mise à jour Conditions Générales d'Utilisation du célèbre service de transfert de fichiers via Internet. Dans une clause, le service néerlandais indiquait que tout fichier déposé sur ses serveurs pouvait être utilisé "pour développer, commercialiser et améliorer le Service ou de nouvelles technologies ou services, y compris pour améliorer les performances des modèles d'apprentissage automatique". Autrement dit : pour alimenter un outil d'IA. Une mention suffisamment explicite pour déclencher une tempête numérique.
Le changement, daté du 23 juin mais repéré massivement le 15 juillet, n'est pas passé inaperçu. Sur X (ex-Twitter), des captures d'écran de la clause litigieuse ont circulé à grande vitesse. La formulation précisait que les utilisateurs accordaient à WeTransfer "une licence perpétuelle, mondiale, non exclusive, sans redevance, transférable et pouvant faire l'objet de sous-licences". Cette licence incluait notamment le droit de "reproduire, distribuer, modifier" les contenus et d'en tirer profit, sans aucune compensation pour les auteurs. Un choc pour bon nombre d'utilisateurs, et en particulier les professionnels, créatifs ou journalistes, qui emploient régulièrement ce service pour partager du contenu sensible ou inédit.
Attention, note de service: Comme beaucoup de plateforme, Wetransfert vient de changer ses CGU qui lui permettent désormais dacquérir un droit de licence de vos contenus. Préfères donc Swisstransfer, Smash ou TransferNow.
— Gerald Holubowicz (@geraldholubowi.cz) 15 juillet 2025 à 08:03
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Polémique WeTransfer : une drôle de marche arrière
Face à l'indignation, WeTransfer a réagi dans l'après-midi. Dans un message transmis à plusieurs rédactions, la plateforme a assuré qu'elle n'utilisait pas l'intelligence artificielle pour traiter les fichiers transférés par ses utilisateurs. Elle reconnaît que la formulation précédente "prêtait à confusion" et annonce avoir retiré toute mention à l'apprentissage automatique. La clause 6.3 est désormais formulée ainsi : "Vous nous accordez une licence gratuite nous autorisant à utiliser votre Contenu dans le but de faire fonctionner, développer et améliorer le Service, conformément à notre Politique de confidentialité et de cookies." Une clarification qui se veut rassurante, mais qui ne lève pas toutes les interrogations.
WeTransfer just changed their TOS giving themselves permission to train AI on any content you transfer and produce derivative works based on content you transfer that they are allowed to monetize and you are not allowed payment for. Stop using WeTransfer.
— Ashley Lynch (@ashleylynch.bsky.social) 15 juillet 2025 à 01:05
Si WeTransfer affirme ne pas entraîner d'IA à partir des fichiers des usagers, elle conserve malgré tout une licence d'exploitation très large, y compris en Europe. Or, les exigences du RGPD en matière de consentement et de finalité pourraient rendre certaines pratiques problématiques. L'entreprise tente de se justifier en évoquant l'amélioration de la modération des contenus illicites. L'usage de l'intelligence artificielle, dans ce contexte, servirait à renforcer la détection automatique de fichiers illégaux. Un usage défensif, donc, et non commercial. Pourtant, à aucun moment dans les conditions d'utilisation initiales, cette distinction n'était clairement formulée.
Ce type de clause, ambiguë et étendue, n'est pas inédit dans l'écosystème numérique. X (ex-Twitter) ou Meta ont eux aussi tenté de s'octroyer des droits très larges sur les données des utilisateurs pour entraîner leurs modèles d'IA. Dans ces cas, la pression juridique ou médiatique a souvent forcé ces entreprises à revoir leurs prétentions. Reste que ces incidents montrent à quel point les clauses de service, souvent lues en diagonale ou ignorées, peuvent devenir des armes de captation massive de contenus personnels ou professionnels. Et ce, sous couvert d'une simple mise à jour des conditions.
Polémique WeTransfer : la concurrence en profite
Dans ce climat de méfiance croissante, certains services tentent de se démarquer. C'est le cas de Smash, une plateforme française de transfert de fichiers. Profitant de la polémique, elle a publié une déclaration pour réaffirmer sa politique : " Contrairement à WeTransfer, nous n'exploitons, n'analysons ni n'utilisons les fichiers transférés à des fins commerciales ou technologiques. " Les utilisateurs conservent tous les droits sur leurs fichiers, sans condition. Le message est clair, et il cible directement la confusion provoquée par WeTransfer.
D'autres alternatives comme Swiss Transfer ou pCloud Transfer ont également été citées dans les discussions sur les réseaux, portées par une promesse simple : vos fichiers ne seront pas utilisés pour autre chose que leur transfert. Cette garantie, à l'heure où la frontière entre service rendu et exploitation commerciale se brouille de plus en plus, devient un argument central. WeTransfer, malgré son retour en arrière, n'aura peut-être pas réussi à dissiper totalement le doute. Dans un contexte où chaque clause peut cacher un modèle économique, la vigilance reste de mise.