Majorité numérique : les réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans

Majorité numérique : les réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans

Le Parlement vient d'adopter une proposition de loi fixant à 15 ans l'âge minimum pour s'inscrire seul sur un réseau social, sans l'autorisation des parents. Un signal fort envoyé par le Gouvernement, mais un dispositif compliqué à mettre en place…

Le Gouvernement a décidé de mettre les réseaux sociaux au pas ! Dans le cadre d'un ensemble de textes visant à protéger les enfants des dangers des réseaux sociaux, le Parlement a adopté ce jeudi 29 juin une proposition de loi obligeant les ces derniers à vérifier l'âge de leurs utilisateurs et à recueillir le consentement des parents s'ils ont moins de 15 ans. Il s'agit là de ce qu'on appelle la majorité numérique. Jusqu'ici, celle-ci ne faisait pas l'objet d'une définition juridique dans la loi française. L'âge minimum pour accéder aux plateformes en ligne était librement défini par les plateformes elles-mêmes. Face à ce problème, le député d'Horizon Laurent Marcangeli avait présenté le jeudi 2 mars un projet de loi visant à fixer la majorité numérique à 15 ans, comme le rapportait Le Monde. Un texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale, et maintenant le Sénat, à l'unanimité.

L'objectif de ce texte est d'"instaurer une majorité numérique" et de "lutter contre la haine en ligne". Les parents devront donc donner – ou non – leur accord pour que leur enfant de moins de 15 ans puisse s'inscrire sur les réseaux sociaux. De plus, les plateformes seront contraintes de vérifier l'âge de tout nouvel inscrit. Le texte de loi doit maintenant être promulgué puis publié au Journal officiel pour être effectif. La Commission européenne doit également rendre un avis sur sa conformité avec le droit de l'Union européenne. Une fois la date d'entrée en vigueur fixée par décret, les réseaux sociaux auront un an pour se mettre en conformité. "Soyez assurés que nous veillerons à ce que ce texte puisse s'appliquer dans les meilleurs délais", a promis Jean-Noël Barrot, le ministre chargé de la Transition numérique, à BFMTV. En cas de manquement, les plateformes s'exposeront à une sanction, avec une amende allant jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise – une somme bien dérisoire pour des géants comme Meta. Toutefois, la mise en œuvre du système reste floue – et c'est bien le problème.

Majorité numérique : protéger les plus jeunes des dangers d'Internet

Pornographie, cyberharcèlement, contenus inappropriés, désinformation, standards de beauté inatteignables, addiction aux écrans... Les dangers auxquels font face les plus jeunes – et pas que – sur Internet sont nombreux, d'autant qu'à cet âge, les internautes sont plus vulnérables face aux propos et aux contenus mis en ligne par d'autres personnes, mais sont également moins conscients des enjeux et des répercussions possibles du contenu qu'ils publient eux-mêmes, comme les informations personnelles et les photos. Par ailleurs, en laissant leur profil ouvert au public – c'est généralement le cas par défaut pour les profils "adultes" –, les mineurs peuvent être exposés à des personnes aux intentions malveillantes, qui peuvent prendre contact avec eux.

On ne compte plus les plateformes en apparence tout à fait légitimes, où se retrouvent les jeunes adolescents pour discuter et s'amuser, qui sont en réalité de véritables terrains de chasse pour les pédophiles. C'est par exemple le cas de Discord, où des personnes malveillantes profitent de la messagerie privée et des échanges au sein des communautés pour contacter les potentielles victimes directement par message privé, dans l'espoir qu'elles répondent à leurs sollicitations et leur envoient des images et vidéos d'elles nues – pour ça, elles n'hésitent pas à se faire passer pour des mineurs, afin d'entrer plus facilement en contact et d'instaurer un climat de confiance pour, à terme, obtenir ce qu'elles sont venues chercher (voir notre article). D'autres réseaux sociaux comme Omegle, Bigo et Coco, qui mettent en contact des inconnus afin qu'ils échangent entre eux – sans bien évidemment contrôler l'âge des utilisateurs –, sont méconnus des parents et passent généralement sous leur radar de surveillance. Résultat : ici aussi, les plus jeunes sont exposés à des images pornographiques, à des échanges problématiques, voire à des homicides en direct (voir notre article). Le danger peut survenir en quelques clics !

Réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans : il y a du travail !

Depuis plusieurs années, la législation européenne, via l'article 8 du règlement général sur la protection des données (RGPD), impose aux réseaux sociaux comme Instagram, Facebook, TikTok et Snapchat de fixer une "majorité numérique" située entre 13 et 16 ans – chaque pays est libre de décider lui-même de ce seuil, tant qu'il se situe dans la fourchette. Cette majorité numérique correspond à l'âge à partir duquel on considère qu'un utilisateur maîtrise son image et ses données personnelles, et qu'il est en mesure de donner son accord pour que ces informations soient utilisées par des services en ligne, sans avoir besoin d'autorisation parentale.

Bien évidemment, ce seuil n'est absolument pas respecté dans les faits. Selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la première inscription sur les réseaux sociaux intervient "en moyenne vers 8 ans et demi, et plus de la moitié des 10-14 ans y sont présents", et ce, même si de nombreuses plateformes comme Facebook, Instagram et TikTok sont tout bonnement interdites aux moins de 13 ans – mais aucune vérification sérieuse n'est mise en place. C'est bien simple, selon l'enquête Génération numérique "les pratiques numériques des jeunes de 11 à 18 ans" publiée par la CNIL en mars 2021, 44 % des 11-18 ans ont déjà menti sur leur âge sur les réseaux sociaux.

Réseaux sociaux : une majorité numérique à 15 ans

Depuis son adoption le 25 mai 2018, le RGPD renforce le consentement et la transparence concernant l'utilisation des données. Avec l'article 8.1, les données personnelles des mineurs sont désormais traitées différemment selon leur âge. Ainsi, l'accord parental est nécessaire pour les mineurs pour recueillir des données sensibles ou photographiques, utiliser des données pour de la prospection commerciale ou les vendre à des tiers. En adoptant cette loi, les plateformes seront obligées de mettre en place un dispositif pour s'assurer que les utilisateurs de moins de 15 ans aient bien obtenu cet accord. En cas de manquement, elles s'exposent à une amende pouvant aller jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise. Un amendement a également ajouté une contrainte en prévoyant que les parents ne pourraient pas donner leur accord pour les moins de 13 ans, sauf pour des plateformes labellisées.

"Il s'agit pour chacun – parents, entreprises, jeunes – de prendre ses responsabilités" face à l'amplification des pratiques numériques des enfants, explique Laurent Marcangeli (Horizon), à l'origine du projet de loi. Rejetant tout "discours moralisateur", le député a défendu des "garde-fous indispensables" à poser face à "la précocité croissante de la puberté numérique et de la puissance des outils mis à disposition de nos jeunes". L'objectif premier est de "faire reculer le cyberharcèlement entre jeunes", dont les réseaux sociaux et les messageries instantanées constituent l'un des principaux vecteurs – ils donnent de l'ampleur au harcèlement, qui suit la victime absolument partout et tout le temps.

Le texte de loi prévoit également deux autres mesures liées à cette majorité numérique. Ainsi, les réseaux sociaux devront délivrer une information aux enfants sous cet âge et aux parents "sur les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention". De plus, ils devront signaler au mineur son temps d'utilisation avec des notifications régulières – ce que fait déjà TikTok, mais l'efficacité de la mesure est quelque peu relative. La loi prévoit également la possibilité pour les parents de demander à un réseau social de suspendre le compte de leur enfant s'il a moins de 15 ans – à condition qu'il connaisse l'existence du compte en question et sache comment contacter la plateforme.

Réseaux sociaux : un dispositif de vérification d'âge difficile à mettre en place

Pour faire appliquer cette limite d'âge, la loi doit permettre d'instaurer l'obligation pour les réseaux sociaux "de mettre en place une solution technique de vérification de l'âge des utilisateurs finaux et du consentement des titulaires de l'autorité parentale" pour les moins de 15 ans. Notons que certains réseaux sociaux s'y essayent déjà, comme Instagram, qui a mis en place un système de selfie vidéo, qui est analysé et validé par une intelligence artificielle (voir notre article). Maintenant que la loi est votée, les modalités du dispositif doivent être discutées et définies par les autorités compétentes – l'Arcom devra certifier les solutions après la consultation de la CNIL – puis arrêtées par le Conseil d'État. Le système mis en place aura la dure tâche de concilier l'efficacité et la protection de la vie privée et des données personnelles, comme le rappelait la CNIL en juillet 2022. En effet, certains dispositifs de vérification d'âge reposent sur une collecte massive de données personnelles et apparaissent dès lors difficilement conformes aux principes de protection des données – comme la reconnaissance faciale. D'autres, moins intrusifs, sont inefficaces parce que trop aisément contournés par les mineurs, qui ne manquent pas d'imagination lorsqu'il s'agit d’enfreindre les règles.

Actuellement, toutes les solutions proposées peuvent facilement être contournées. En effet, l'usage d'un simple VPN localisant l'internaute dans un pays qui ne demande pas une vérification de l'âge de cet ordre peut permettre à un mineur de contourner un dispositif de vérification de l'âge appliqué en France, ou de contourner le blocage d'un site Web qui ne respecte pas ses obligations légales. De même, il est difficile d'attester que la personne qui utilise une preuve d'âge est bien celle qui l'a obtenue. Les solutions envisagées pourraient bien être les mêmes que celles qui seront mises en place pour faire respecter la limite d'âge d'accès aux sites pornographiques, que le Gouvernement est en train de mettre en place (voir notre article).

La première option serait d'effectuer un contrôle par vérification de la carte bancaire avec une transaction à zéro euro. Une solution qui laisse quelque peu sceptique, étant donné qu'elle ouvre la voie aux arnaques en ligne – notamment avec la création de sites miroirs – et qu'elle est assez facile à contourner, puisqu'il suffit pour un mineur d'emprunter la carte de ses parents ou d'utiliser sa propre carte de retrait. L'autre solution serait de mettre en place un système de double anonymat, soit lorsque l'entreprise certifiant l'âge de l'internaute ignore pour quel type de site l'authentification est nécessaire. Mais là encore, il suffirait d'installer un VPN, un serveur qui permet à l'internaute de se délocaliser virtuellement de France, c'est-à-dire de faire croire au FAI qu'il se trouve dans un pays étranger où la réglementation n'impose pas de vérification...

Les députés et les sénateurs sont bien conscients des limites du texte, qui "ne pourra suffire à mettre fin à lui seul aux dérives", comme l'admet son initiateur Laurent Marcangeli. Ce dernier appelle à "avancer sur les techniques de vérification de l'âge et à investir massivement dans l'éducation au numérique pour les parents, les enfants et les enseignants". Il ne s'agit pas "de priver les jeunes de l'accès à un réseau social, mais bien d'apporter une réponse adaptée aux abus nés d'un usage précoce et non encadré", a souligné jeudi Alexandra Borchio Fontimp (LR), la rapporteuse du texte au Sénat.

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