Ecologie et informatique : 30 ans de perdus ?

munich_madness - 16 févr. 2007 à 17:29
phitoul Messages postés 169 Date d'inscription vendredi 10 janvier 2003 Statut Membre Dernière intervention 5 février 2010 - 20 févr. 2007 à 12:15
Il est difficile, aujourd'hui, d'ignorer les effets de notre consommation sur l'environnement. Quelle peut être notre contribution personnelle, ou collective, au développement durable ? Et avant cela, pouvons-nous comprendre le rôle exact de nos actes en tant que consommateur, et mais aussi en tant que travailleur du secteur informatique ? Le texte qui suit vise à répondre à ces deux questions.

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Au quotidien, nous vivons en ville, confortablement, et donc largement coupés de ce qui se joue quant aux écosystèmes. Quand nous prenons notre voiture pour aller travailler, nous consommons pourtant des énergies fossiles, non renouvelables. Quand nous prenons le métro, nous consommons de l'électricité produite à partir d'uranium, ressource également non renouvelable (et l'uranium du sol français étant épuisé, il est désormais importé de par le monde). Lorsque nous mangeons à la pause de midi, nous consommons également de l'énergie fossile, celle nécessaire à fabriquer les intrants chimiques de l'agriculture, à faire rouler ses tracteurs et les camions livrant aux citadins leur nourriture, le plus souvent préparée par l'industrie agroalimentaire qui, elle-même, ...

Bref, nous vivons quotidiennement sur un "capital" énergétique qui s'amenuise. Et cela tandis que l'autre "capital" (celui qui est dans notre porte-monnaie et qui donne le droit de consommer ces ressources d'énergies non renouvelables), lui, continue à se concentrer, en se déplaçant toujours plus vite grâce aux réseaux informatiques et à l'ingénierie financière [1]. C'est pourquoi, au moment du pic pétrolier qui se produira bientôt [2], moment où les prix flamberont parce que la production stagnera alors que les "besoins" de consommation continueront à augmenter, les moins dotés en argent seront les premiers touchés.

D'un point de vue macroscopique, on dispose aussi d'un indicateur numérique qui peut frapper l'imagination : l'empreinte écologique. L'empreinte écologique ramène à une surface (biologiquement productive) la consommation d'un individu et l'absorption de ses déchets [3]. Par exemple, manger de la viande tous les jours, cela implique de disposer d'une surface agricole plus importante qu'une consommation de légumes. Si ces ressources biologiques étaient équitablement réparties sur l'ensemble de la planète, chaque individu devrait avoir une empreinte égale à 1,8 hectare environ. Or, en France cette empreinte est de 5,8 hectare. Ce qui indique que, quotidiennement, la France s'accapare l'équivalent de deux autres Frances pour assurer le mode de vie de ses habitants. Ou, pour le dire autrement, la généralisation du mode de vie des français demanderait de disposer de trois planètes. L'argent permet en effet d'acheter des ressources biologiques ou minières situées en dehors de notre territoire : de la nourriture pour le bétail [4], du coltan pour les puces des téléphones portables [5], de l'uranium pour les centrales nucléaires [6], de la main d'oeuvre bon marché pour démanteler le matériel informatique obsolète [7].

Le dépassement des limites des écosystèmes du territoire français était vraisemblablement déjà dépassé dès le début des "Trente Glorieuses" [8], c'est-à-dire précisément à l'époque où le concept de "développement" a émergé [9]. Cela n'a pas empêché, depuis les années 1960 jusqu'à aujourd'hui, une croissance régulière de la consommation des ménages [10], du volume des marchandises transportées par la route [11], de la consommation d'électricité [12], de la consommation d'intrants chimiques dans l'agriculture (issus d'énergies fossiles)[13], etc. Chacun de ces postes de consommation est assez bien corrélé avec la croissance économique (croissance du PIB), et à l'idée du "développement" passant forcément par l'augmentation quantitative des marchandises produites, distribuées et vendues.

Notre contribution au "développement durable" est d'autant plus difficile à imaginer que c'est la mécanique du développement elle-même qui est la source des déséquilibres écologiques actuels. Ainsi, la courbe du PIB est aussi liée à celle de la croissance des déchets [14], conséquence de la croissance de la consommation des ménages, elle-même entraînant la croissance des transports essentiellement routiers, entraînant alors la croissance des émissions de CO2. Et l'augmentation des intrants chimiques entraînent l'épuisement des sols agricoles, demandant en retour encore plus d'intrants, ce qui, en dégradant la valeur nutritive des aliments [15] entraîne l'affaiblissement des systèmes immunitaires des personnes, et donc l'augmentation régulière des dépenses de santé. Plus globalement, l'ensemble de toutes les pollutions environnementales (métaux lourds, radioactivité, ondes électromagnétiques...) se combinent entre elles et entraînent l'apparition de maladies diverses, alors même que les pollutions unitaires se situent en dessous des seuils autorisés par les autorités [16].

Sur le plan des progrès techniques accomplis, on observe que l'amélioration des moteurs, de leur consommation et de leur émissions polluantes n'a pas diminué les nuisances environnementales (émission de CO2, etc.), car les baisses d'impact par voiture produite se trouvent systématiquement anéanties par la multiplication des voitures vendues. L'informatisation de la gestion logistique à partir des années 1980 n'a pas diminué le nombre total de tonnes-kilomètres transportés. L'augmentation de la productivité par travailleur agricole n'a pas amélioré la qualité nutritive des aliments... Tout se passe comme si les gains d'efficacité locaux réalisés ne servaient qu'à permettre la croissance globale de la consommation de marchandises et des dégradations environnementales liés à leur production, leur distribution et leur élimination.

A cet égard, il est intéressant de se pencher sur le rôle de l'informatisation, puisque ce domaine technique nous intéresse professionnellement. Avant la fin des années 1970, l'informatique joue un rôle très mineur dans le processus décrit plus haut. Seuls les fonds militaires, et particulièrement aux Etats-Unis, alimentent les progrès réalisés dans les performance des ordinateurs [17]. Dans les rares grosses entreprises disposant d'ordinateurs, les machines sont surdimensionnées par rapport à leur utilisation, et jouent surtout dans l'image de modernité que veulent se donner les entreprises. La situation change à partir de la fin des années 1970, à une époque qui correspond aussi à une reconfiguration générale des entreprises face aux consommateurs finaux. Dans la période précédente, les dites Trente Glorieuse, les ventes étaient assurées par la distribution d'un petit nombre de gammes de marchandises, produites en masse. La concurrence entre entreprises y est modérée. Mais peu à peu, les marchés sont saturés, les débouchés ne sont plus assurés, les succès de vente sont davantage éphémères. Certes, les techniques marketing existent déjà. Notons d'ailleurs que celles-ci ont été mises au point dans un contexte similaire de crise des débouchés, au sortir de la crise de 1929 [18]. Mais ces techniques nécessitent alors d'être mises en oeuvre avec autrement plus d'efficacité. Quand telle industrie consiste à produire en masse le même produit toute l'année, logistique, distribution, stocks et vente se gèrent sur "un coin de table", et dans des dossiers rangés dans des armoires. Mais quand la même entreprises diffuse n produits en flux tendu, les mains qui rangent et sortent les dossiers des armoires ne suivent plus la cadence.

Sans informatique, il serait aujourd'hui impossible pour les entreprises de satisfaire la demande de ces fameux consommateurs, ceux dont l'empreinte écologique est précisément 3, 4, voire 5 fois (pour les Etats-Unis) celle permise par les écosystèmes locaux. En effet, les principales caractéristiques de ces consommateurs, tant recherchés par toutes les entreprises, sont a) d'être très exigeants, b) de se lasser très facilement des dernières nouveautés. Et toutes les entreprises répondent à cette contrainte de la même façon : en renouvelant sans cesse les gammes de leurs produits, toujours plus nombreuses et ajustées à des segments de marchés toujours plus fins. Cela nécessite de coordonner rapidement toutes les fonctions de l'entreprise (à l'intérieur d'une même entreprise), dans une logique d'intégration des filières (entre plusieurs entreprises). L'aval (la distribution et la vente au consommateur final) doit contrôler l'amont du processus productif [19]. Notons que cette intégration n'a pas seulement nécessité d'informatiser la gestion des entreprises, mais aussi d'informatiser les places financières. Cette mobilité plus importante des capitaux a permis, pendant les années 1980, une restructuration des groupes industriels permettant un contrôle plus grand et plus souple entre entreprises, lesquelles deviennent plus petites, et clientes ou fournisseurs au sein d'un même groupe [20].

Réussir ces immenses transformations sans informatique... ce n'est même pas la peine d'y penser... Mais sans informatique, nous pouvons dire aussi que, en 2007, nous nous coltinerions les contraintes des années 1960, où par exemple la moitié de l'électricité consommée était hydraulique (donc renouvelable, au lieu des 13% d’actuels), et où les flux tendus informatisés n'invalidaient pas encore le transport ferré, synonyme de grosses quantités à transporter à la fois, donc de stocks plus importants, et donc de pertes d'argent. Les problèmes seraient très difficile à résoudre, mais moins difficile qu'aujourd'hui.

Il est aussi exact que les problématiques écologiques actuelles étaient déjà posées pendant les années 1970 [21]. La gestion informatisée alors émergente a également fait l'objet de nombreuses disputes publiques [22]. Mais il faut croire que bien des aspects historiques de notre société industrielle sont laissés dans l'ombre, notamment dans l'enseignement. Et que l'on comprend fort mal les logiques marchandes et industrielles auxquels nous prenons une part active quotidiennement, au travail, en voiture ou au supermarché. Aujourd'hui, vingt cinq ans après en France, l'ensemble des informaticiens et des consultants en organisation dépasse le nombre d'agriculteurs. Le milliard d'ordinateurs a été dépassé dans le monde. L'infrastructure Internet américaine représenterait déjà 13% de la consommation électrique américaine [23]. Et ce n'est pas fini. Les nanotechnologies, qui suscitent depuis quelques années une compétition mondiale sans précédent et les subventions publiques attenantes [24], autoriseront la convergence entre le monde numérique et le vivant. Et des applications, n'en doutons pas, écologiques [25].

Au terme de ces explications, il est temps de reprendre la question posée au début de ce texte : « Quelle peut être notre contribution au développement durable ? ». Il faudrait au moins que nous prenions acte des conséquences de nos activités professionnelles, ou à défaut de tenter de les comprendre. Sans quoi l’on contribue à l'impuissance de chacun face à des conséquences écologiques qui dépassent l'imagination. Si les informaticiens ne font pas cet effort (et spécialement ceux qui, étant en SSII, ont le recul permis par l’expérience et la diversité des projets sur lesquels ils sont intervenus), qui le fera ? Qui pourra alimenter des débats publics où l'informatique serait enfin mise à l'épreuve de se justifier, autrement qu'économiquement, et éclairée quant à ses fonctions et finalités ?

M.M.
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1 réponse

phitoul Messages postés 169 Date d'inscription vendredi 10 janvier 2003 Statut Membre Dernière intervention 5 février 2010 6
20 févr. 2007 à 12:15
Bjr

tout d'abord bravo pour ce long texte qui a du nécessiter du temps pour la saisie et donc de la consommation d'énergie ;-b
plus sérieusement après avoir survolé cette longue démonstration que je ne remets nullement en cause et dont je n'ai pas eu le temps de vérifier toutes les justifications deux questions me sont venues a l'esprit qui portent plus sur le contexte de ce réquisitoire que sur son fond:
1) le fait que l'auteur ne se présente pas explicitement : pseudo inconnu ,pas membre enregistré, nulle part trace de ses compétences et interventions antèrieures sur le site ou ailleurs (google: messages sur developpez.com on s"en serait douté) ce quasi anonymat me dérange et tend a me rendre suspiçieux.
2) la forme - utilisation du nous, composition de la rédaction, clarté de l'expression, etc,- laisse a penser que nous avons affaire a un tribun habitué des débats.?? et comme toute argumentation est destinée a interagir sur un auditoire, donc quelle est sa motivation? on me répondra, bien sur, le développement durable:....... un peu court.... comme dirait l'autre " on pourrait dire bien d'autres choses encore": lancer un débat sur l'utilisation d'un outil?? des philosophes y ont déjà répondu.
et pourquoi maintenant ? a - 60 jours; le thème n'est pas neuf! et j'ai peine a croire que l'auteur vient juste de le découvrir, ou vient à peine de surmonter sa timidité naturelle, pudiquement voilée par le confort de l'anonymat d'un pseudo sur le net !!! chose dont je suis lassé et que les membres actifs et renommés de CCM ont plusieurs fois dénoncés
je considère cela comme un amuse gueule, un apéritif qui met l'eau à la bouche; un teasing ( désolé pour ce franglais) comme on dit dans la pub.( a remarquer que je réponds donc rentre dans le jeu).
j'attends de voir la suite et surtout restons vigilant ne nous départissons pas de notre esprit critique même jusqu'au non dit!!
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